
Interdiction de la publicité politique sur Meta : qu’est-ce qui change pour la compublique ?
C’est un communiqué passé relativement sous les radars au cœur de l’été. En juillet 2025, Meta annonçait mettre « fin à la publicité portant sur des enjeux politiques, électoraux et sociaux au sein de l’UE ». La plateforme réagissait ainsi à l’entrée en vigueur ce 10 octobre 2025 du règlement européen sur la transparence et le ciblage de la publicité à caractère politique, dont l’un des objectifs affichés est de diminuer la manipulation de l’information et les ingérences étrangères lors des élections. Examinons les conséquences pour la com numérique des collectivités.
Par Patrice Razet, ancien responsable numérique du département du Maine-et-Loire et consultant en communication chez Canévet et associés.
Que dit le règlement européen ?
Les nouvelles règles couvrent la transparence et le ciblage de la publicité en ligne à caractère politique dans le cadre d'une élection ou d'un processus législatif, tant à l’échelon national que local. Le règlement européen TTPA (transparence et ciblage de la publicité à caractère politique) :
- demande aux plateformes numériques davantage de transparence quant à l’identification de ces publicités et du financeur ;
- limite les possibilités de ciblage ;
- ajoute une demande de consentement explicite pour recevoir des publicités à caractère politique ;
- et interdit, entre autres, à des pays extérieurs à l’Union européenne de fournir des services dans les mois qui précèdent une élection.
Pourquoi Meta supprime la publicité politique en Europe ?
En retour, Meta a dénoncé « les conséquences imprévues d’une réglementation contraignante », rappelant les efforts que la firme réalise déjà depuis l’affaire Cambridge Analytica (procédures spécifiques d’identification des annonceurs et mesures de transparence). En cela, Meta rejoint Google, qui avait déjà jeté l’éponge en novembre dernier.
On le sent, la multiplication des passes d’armes entre les géants du numérique et l’Union européenne est en train de devenir un vrai sujet politique qui vient mettre en tension la capacité des Européens à faire appliquer leurs législations sur leur propre territoire.
Quelles conséquences concrètes pour les collectivités ?
Mais alors, plus concrètement, qu’est-ce qui va changer à compter du mois d’octobre pour les acteurs publics ? Est-ce que c’en est fini de la sponsorisation de contenus sur Facebook et Instagram ?
Pour y voir plus clair, le mieux reste encore d’explorer la bibliothèque publicitaire de Meta, qui recense, par annonceur, tous les contenus sponsorisés sur les plateformes du géant américain. Celle-ci contient justement un filtre « enjeu social, électoral ou politique ». En toute logique, on peut estimer que c’est bien cette catégorie de publicités qui, à compter d’octobre, est vouée à disparaître.
Alors, que trouve-t-on dans cette catégorie ? Tout d’abord, des publications d’élus ou de candidats. De la gauche à l’extrême droite, les élus ou listes sont nombreux à sponsoriser certains de leurs posts. Souvent pour de faibles montants, bien loin des sommes faramineuses que les politiques belges dépensent sur ces plateformes.

On y trouve également un certain nombre de publications issues de sites douteux et complotistes.
Par ailleurs, c’est du côté des ONG et associations qu’il faut regarder. À ce jour, elles sont nombreuses à entrer dans la catégorie des enjeux électoraux ou politiques.

Enfin, en y regardant de plus près, on trouve également des publicités proposées par des collectivités. Quelques exemples qui demain pourraient disparaître : un bilan d’action municipale, l’annonce d’un projet pour le territoire, ou encore un appel au vote pour un budget participatif.

Sauf que les choses ne sont pas si claires. Car, la plupart du temps, c’est sur une base déclarative que le community manager ou l’agence va catégoriser une publicité comme relevant d’un enjeu électoral.
Ainsi, selon la mairie de Paris, le vote sur son budget participatif a un enjeu politique (donc ne sera plus possible demain), quand une publicité sur le même sujet pour la ville de Bobigny n’est pas catégorisée dans les « enjeux sociaux, électoraux ou politiques » (et donc pourra continuer demain). Pour Grenoble Alpes Métropole, sa publicité sur le Forum des métiers porte un enjeu politique et électoral (c’est discutable). Même analyse du côté de l’Association des villes et villages fleuris, qui considère que la 4e fleur de la ville de Drancy porte un enjeu politique (cela nous semble encore plus discutable).

Bref, l’analyse de la bibliothèque de publicités pointe une définition non consensuelle de ce qui relève d’une publicité politique. Et témoigne à cette même occasion des loupés de Meta sur la régulation de celles-ci. Il est à parier que les moyens des équipes de modération ne progresseront pas à l’occasion de l’interdiction de la publicité politique et que le flou sur la limite entre enjeu de service public et enjeu électoral ne sera pas tranché de sitôt. Ce qui nous amène à une double conclusion…
Interdiction de la publicité politique : que peuvent faire les collectivités ?
1. Il reste possible de sponsoriser des sujets liés à l’action publique…
Sur 340 publicités sponsorisées par la ville de Marseille, seules 48 ont été catégorisées dans les enjeux politiques. Au département du Nord, sur 160 publicités recensées, seules neuf entrent dans la catégorie politique. En d’autres termes, malgré l’interdiction relative aux contenus politiques, les collectivités gardent encore la possibilité de sponsoriser des contenus sur les plateformes Meta.
2. … mais c’est l’occasion d’aller voir ailleurs
Pour autant, cette restriction de l’utilité des outils Meta est une occasion en or pour se reposer quelques questions, à commencer par celle de notre dépendance aux GAFAM et aux conséquences des dépenses publiques sur l’économie des médias. D’année en année, la part des GAFAM dans le marché publicitaire est de plus en plus hégémonique. Elle contribue à assécher le financement des titres de presse, qu’il s’agisse de la presse quotidienne régionale ou des médias de service public. Or, ces médias proposent aussi des solutions publicitaires abordables et efficaces. À cet égard, il faut plutôt voir dans l’interdiction de la publicité politique sur Meta une opportunité d’aller afficher les messages publics dans d’autres contextes, plus vertueux pour l’économie locale et plus sains en termes d’exposition de la parole publique.