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La participation, une revendication citoyenne à l'épreuve du local

Publié le : 18 avril 2019 à 08:52
Dernière mise à jour : 15 avril 2020 à 17:52
Par Anne Revol

Le mouvement des gilets jaunes a porté haut et fort la revendication d’être davantage associés à la décision publique. Cette éruption de la demande citoyenne invite les collectivités, qui pratiquent la démocratie participative depuis longtemps, à réinventer les modes de dialogue en externe et en interne. Retour sur l’impact des gilets jaunes sur la participation locale et le fonctionnement des services avec Pascal Nicolle.

Dans quel contexte se place l’essor des demandes de participation ? Comment les collectivités peuvent-elles mieux associer les citoyens pour l'externe, et les agents pour l'interne ? Pascal Nicolle, directeur associé de La Suite dans les idées et fondateur de DébatLab, l'association des professionnels de la concertation, est venu mettre en perspective la revendication citoyenne des gilets jaunes aux 12e Rencontres de la communication interne le 28 mars dernier.

Le symptôme d’une crise de confiance profonde et durable

Le mouvement des gilets jaunes a déclenché dans l’opinion publique l’éruption d’une demande très forte d'être associé davantage à la décision. Une demande inscrite depuis très longtemps dans le paysage sociétal français, selon Pascal Nicolle : « Cette éruption est la traduction d’une crise beaucoup plus profonde et durable. » Les résultats du baromètre Cevipof, qui analyse depuis 2009 l’évolution de la confiance que les gens se portent entre eux et portent aux politiques, le montrent : « En dix ans, la France est entrée dans une crise durable de confiance vis-à-vis des politiques. » Cette crise touche toutes les catégories de politiques, avec un constat : plus les politiques sont éloignés du territoire, plus la défiance envers eux augmente. Seul le maire atteint un niveau de confiance supérieur à 50 %.

Avant ce mouvement, plusieurs événements auraient pu attirer notre attention sur cette demande forte de participation, comme notamment la mobilisation contre le barrage de Sivens et la mort de Rémi Fraisse. « Sur ce projet de barrage, tout s’est concentré sur le dernier moment de concertation, l’enquête publique. Cet événement a déclenché la réforme du dialogue environnemental en 2016 qui anticipe notamment le temps de concertation en prévoyant des concertations plus tôt, dès la phase de conception », rappelle Pascal Nicolle.

Pascal Nicolle et Didier Rigaud aux Rencontres de la communication interne le 28 mars 2019.

L'évolution récente du cadre réglementaire de la participation est appelée à se poursuivre

À l’instar de la récente réforme du dialogue environnemental en 2016, un certain nombre de droits en matière de participation ont été inscrits ces dernières années dans la loi sans qu’on ne les utilise forcément : le droit de pétition, le droit de saisine – qui permet à partir de 10 000 citoyens de réclamer un débat public sur des projets – ou encore la charte de la participation du public établie fin 2016 qui constitue une mise à plat de règles appliquées depuis longtemps par la commission du débat public.

« Jusqu’où faut-il aller dans l’encadrement réglementaire de la participation ? », se questionne Pascal Nicolle. « On peut s’attendre à une nouvelle réforme : une réforme constitutionnelle, de référendum d’initiative citoyenne (RIC) demandé par les gilets jaunes. » Les premiers éléments de réponse du président de la République, qui ont fuité dans la presse, semblent aller dans ce sens : organisations de « RIC sur certains sujets d’intérêt local », simplification du référendum d’initiative partagée (RIP), existant dans la Constitution mais extrêmement compliqué à mettre en œuvre, et mise en place d’une convention de 300 citoyens tirés au sort pour « travailler à la transition écologique et aux réformes concrètes à prendre ». Une « réforme constitutionnelle recentrée sur la participation des citoyens et notre organisation territoriale » qui devrait être soumise au Parlement cet été.

« Pour renouer la confiance entre citoyens et politique, il va falloir trouver des façons d’associer de plus en plus régulièrement, sur des projets de plus en plus quotidiens, les usagers, les habitants, les agents, dans quasiment toutes les décisions importantes qui vont les concerner. » Une problématique dont tout le monde est en train de saisir l'ampleur, suite au mouvement des gilets jaunes.

La participation locale : des conseils de quartier au budget participatif

Au niveau local, les collectivités apportent des réponses à cette demande de participation depuis déjà très longtemps. « À Nice, Marseille, Roubaix, on retrouve des comités de quartier dès les années 1910-1920, avec un certain nombre de républicains qui voulaient imposer des comités face aux conseils de fabrique, et aux conseils paroissiaux. » Une formule relancée sous une forme rénovée à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Arrivée de la politique de la ville, développement social des quartiers (DSQ), création de commissions consultatives, conseils de quartier... les instances participatives ont fleuri ces trente ou quarante dernières années et semblent un peu à bout de souffle. Beaucoup de collectivités ont de grosses difficultés à maintenir ces conseils de quartier. « C’est très difficile de les faire fonctionner dans la durée et sur une multitude de projets », souligne Pascal Nicolle, qui pointe aussi leur articulation, plus ou moins bonne, avec la démocratie délibérative. « Il y a très peu de conseils de quartier dont les propositions sont examinées par un conseil municipal. » Autre effet déceptif : les instances participatives concernent souvent un petit groupe d’habitants habitués à travailler avec la collectivité. « On est loin de toucher l’ensemble de la population. »

Nous avons de très bons outils participatifs numériques, mais ils ne fonctionnent pas quand ils ne sont pas accompagnés.

Avec l’essor du numérique, une multitude de plateformes et applications de consultation en ligne sont apparues. « On a de très bons outils, une civic tech bien développée, diversifiée, intéressante. Mais ils ne fonctionnent pas quand ils ne sont pas accompagnés. » Fracture numérique, utilisation de ces nouveaux outils, mais aussi analyse et restitution, la dématérialisation de la concertation locale apporte toute une série de rôles qui peuvent être tenus par des cabinets spécialisés, « mais sont aussi du ressort des collectivités », souligne Pascal Nicolle. Après avoir formé leurs agents pour qu’ils accompagnent les instances participatives, les collectivités vont devoir sans doute les former à l’accompagnement sur ces outils numériques.

Le budget participatif va être un des sujets des prochaines élections.

Autre évolution caractéristique de la participation locale : la multiplication des budgets participatifs. La pratique, initiée au Brésil il y a environ trente ans, a été mise en œuvre par quelques villes françaises à la fin des années 1990 et au début des années 2000, et se développe fortement depuis 2014 avec Paris, Metz, Nantes, Angers, etc. « Il y a eu quelques avatars, des dérives d’élus qui voulaient faire passer un projet en s’appuyant sur les habitants. Mais cela va être un des sujets des prochaines élections », explique Pascal Nicolle. Un sujet à prendre en compte, en particulier en interne auprès des agents impliqués dans ces processus. « Le budget participatif s’appuie sur une approche de la gestion de la collectivité par projet. Si les agents ne sont pas habitués à un tel mode de gestion et si en plus on leur amène un projet qui n’émane pas de la collectivité, pour les services, c’est un double choc. »

Faire appel à l'intelligence collective des agents

Devant les communicants internes, Pascal Nicolle a rappelé l’importance d’impliquer les agents, chez qui, comme dans l’ensemble de la société, existe fortement cette demande sociale d’être associés au projet. « Il n’y a rien de pire quand on mène des démarches consultatives que de consulter la population et de ne pas faire la même chose avec les agents. On a vu plein d’élus être les fers de lance des projets, et à un moment se retourner et ne retrouver plus personne pour les suivre dans les démarches car ils se sont perdus en route. » Dans le domaine de la participation interne, il n’existe aucune réglementation, ni d’instance participative des agents (les instances représentatives du personnel n’étant pas faites pour cela). « Or, il faut obligatoirement a minima les prévenir, puis au moins les associer sur la méthode, et à un moment aussi sur le fond. »
La rénovation des pratiques et des modes de faire des services publics représente une opportunité pour réinviter des pratiques avec les agents via le design de service, les laboratoires d’innovation et « l’intelligence collective des agents », souligne Pascal Nicolle. Des agents citoyens compétents sur un sujet de par leur fonction dans la collectivité, qui peuvent aussi avoir un avis sur un autre sujet parce qu’ils habitent cette collectivité, parce qu’ils y travaillent depuis suffisamment longtemps, ou parce qu’ils connaissent un sujet pour y avoir travaillé dans une autre collectivité…

Il faut sans doute inventer un cadre en interne pour faire appel à l’intelligence collective des agents.

« La rénovation des pratiques internes est un mouvement intéressant qui pourrait être le lieu du croisement des expertises », ajoute Pascal Nicolle. Des expertises parfois en concurrence : celle d’usage de l’habitant, celle de l’expérience et des connaissances des experts de la collectivité. Cette expertise des collectivités est, elle aussi, soumise à la crise de confiance. « L’étude Cevipof montre qu’on préférera toujours un maire honnête qui prend l’avis de ses concitoyens qu’un maire compétent bien entouré d’experts. »

S’adapter aux nouvelles façons de participer des citoyens

Les sondages le montrent, la nouvelle génération n’est pas moins disponible sur le plan citoyen. « Elle veut s’impliquer dans la collectivité, mais plus de la même manière. Elle est plus dans des projets à court terme, dans une lisibilité plus rapide. » Les citoyens ne s’engagent plus dans des instances ou des associations pendant vingt ou trente ans comme ceux de la génération précédente. Ils vont aller et revenir : s’occuper à un moment de leur vie personnelle, à un autre de leur vie professionnelle et entre les deux s’investir pour le collectif. « Il faut s’habituer à raisonner avec cette génération en proposant un travail projet par projet sur lequel elle peut agir concrètement avec l’idée du "faire ensemble". Il y a une disponibilité sociale et citoyenne pour donner de son temps, de son argent, de son énergie sur des projets très concrets. L’idée que la collectivité soit centralisatrice des solutions, notamment dans le domaine du développement durable, se développe fortement. »

Source ilustration principale : Wikimedia Commons

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