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Le marketing territorial à la recherche de l’équilibre

Publié le : 17 mars 2022 à 12:07
Dernière mise à jour : 17 mars 2022 à 17:07
Par Anne Revol

Après deux années de pandémie marquées par des coups de frein et des coups d’accélérateur, l’heure est à la recherche de l’équilibre pour les professionnels du marketing territorial. Un mouvement nécessaire pour rendre compatibles les stratégies avec les transformations de la société, numériques, écologiques mais aussi comportementales. Ce qui signifie que les territoires vont poursuivre des ambitions de développement fortes mais qu’ils vont devoir les mettre en œuvre différemment.

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Composer entre projet de territoire et stratégie d’attractivité, développement local et développement durable, outils physiques et digitaux… pour Vincent Gollain, directeur du département économie de l'Institut Paris Région, « la notion d’équilibre résume bien les différentes tensions qu’il peut y avoir au sein du métier ou de son environnement ». Une notion que les Rencontres nationales du marketing et de l’identité territoriale à Annecy ont mise en exergue les 28 février et 1er mars 2022. Intervenant et participant de ce rendez-vous annuel, il revient sur cette idée d'équilibre en toile de fond des échanges des professionnels qui amène et amènera les territoires dans les prochaines années à reconsidérer un certain nombre de choses.

La prégnance de la problématique du réchauffement climatique et de la transition environnementale pèse bien sûr son poids dans la balance. Artificialisation nette, neutralité carbone… certaines politiques publiques vont changer la donne en matière de développement territorial. Les territoires ont tout intérêt à lever le regard et à le porter au loin. Pour Vincent Gollain : « Le modèle du marketing territorial doit se transformer pour qu’il soit beaucoup plus compatible avec nos enjeux de transformations de société : écologique, numérique, mais aussi des comportements. »

Certains ont déjà ouvert la voie depuis longtemps. Malaunay, ville de 6 176 habitants proche de Rouen, fait partie de ces collectivités engagées depuis de nombreuses années dans un projet de territoire de transition. Alice Briant, directrice de l'animation et de la communication de la ville de Malaunay, et Matthieu Rios, chargé de mission implication citoyenne, sont venus présenter à Annecy la manière dont ils co-construisent concrètement ce projet de territoire avec les habitants, les agents, les associations et les entreprises. « L’objectif, c'est moins d’avoir plus d’habitants que de demain pouvoir s’adapter aux contraintes sociales et environnementales : pouvoir payer sa facture d’énergie, disposer d’une alimentation plutôt éco-gérée… »

Un équilibre entre projet de territoire et stratégie d’attractivité

Bien sûr, Malaunay fait figure de ville pilote du développement durable, dont l’expérience partagée inspire d’autres collectivités. Mais dans de nombreux territoires, l’âge de raison arrive, et avec lui le temps de la conversation. « Auparavant ceux qui travaillaient sur les projets d’un territoire n’échangeaient pas forcément avec les professionnels de l’attractivité », rappelle Vincent Gollain. « Ce dialogue est pourtant nécessaire pour trouver l’équilibre entre projet de territoire et projet d’attractivité dans une démarche raisonnée. »

Alors que les crises sanitaire et environnementale viennent consolider des évolutions sociétales profondes, avec des aspirations fortes à vivre et à consommer autrement, tout l’enjeu pour les territoires est aujourd’hui de trouver un point d’équilibre entre attractivité – et donc création de richesses – et modèle de développement raisonné. Comment travailler des projets d’attractivité et de territoires harmonieux, qui tiennent compte des défis du moment ? Comment faire moins, mais mieux, en marketing territorial ?

En ouverture de chacune des deux journées des Rencontres du marketing et de l’identité des territoires, les élus du territoire annécien, accueillant l’édition 2022 de ce rendez-vous, ont d’ailleurs rappelé à chacun cette dualité qui ne peut être éludée : « Annecy est une ville touristique, je ne vous apprends rien. Son attractivité ne fait aucun doute. Cette attractivité, si c’est une chance et un atout pour le territoire, on la subit aussi, a expliqué François Astorg, maire de la ville d’Annecy, venu presenter le projet de développement local.

Un rééquilibrage entre endogène et exogène

« Certaines stratégies trop exogènes vont devoir comporter plus d’endogène », abonde Vincent Gollain. « Nous mettons le frein sur la communication externe », a précisé la veille Frédérique Lardet, présidente du Grand Annecy. « Nous ne faisons pas non plus une communication dissuasive, nos habitants ne l’accepteraient pas. Nous travaillons à régler la politique des flux, à réguler l’attractivité. » Avec le réchauffement climatique, lacs et climat du territoire annécien attirent maintenant massivement les urbains des métropoles voisines.

À l’instar d’autres territoires très attractifs, Annecy cherche à réguler. Une régulation qui amène à reconnaître à la fois l’existence de forces de marché, et son rôle en tant qu’acteur public pour trouver une trajectoire équilibrée entre ces dynamiques et un verrouillage total.

Réguler les flux sur l’ensemble du territoire

Une trajectoire qui peut passer notamment par les territoires alentour. « Nous souhaitons ralentir l'artificialisation, mais comment assurer la priorité à nos entreprises, loger nos habitants nés ou à naître lorsque nous ne disposons pas de place ? Nous travaillons avec les intercommunalités voisines qui peuvent, elles, encore accueillir. » « Beaucoup de destinations, avec la pandémie, que ce soit en matière économique ou touristique, ont découvert les gens de leur territoire », complète Vincent Gollain. « Certaines grandes régions constituent de beaux terrains de jeu pour faire passer les habitants d’une ville à l’autre plutôt que de se préoccuper toujours d’aller chercher les Franciliens ou les touristes étrangers. »

À Paimpont, commune située sur le territoire de la Forêt de Brocéliande, c’est le flux de touristes que les acteurs locaux cherchent désormais à faire circuler sur l’ensemble du territoire. Après plusieurs années de communication réussie autour du concept « Devenez légendaire », le territoire adopte un nouveau positionnement marketing autour des « Univers imaginaires ». « La légende était essentiellement tournée autour de la forêt, explique Gaud Menguy, chargée de communication de Brocéliande Communauté, alors que nous souhaitons rayonner plus largement. » Parmi les enjeux : préserver le milieu fragile des sites légendaires et la forêt, et gérer le flux de centaines de milliers de visiteurs annuels, tout en maintenant la qualité de vie des habitants de Paimpont (1 772 personnes à l'année).

L’attractivité génère des retombées positives mais des externalités négatives.

Pour Vincent Gollain, derrière cette notion d’équilibre exogène/endogène se trouve celle de l’optimisation du potentiel du territoire en matière d’attractivité au regard de la soutenabilité environnementale et financière : « L’attractivité génère des retombées positives mais des externalités négatives. »

Optimiser le potentiel de son territoire

Par exemple, certains territoires se questionnent sur la construction d’un parking pour stationner correctement les cars de touristes. L’investissement peut vite devenir coûteux pour un parking vide en dehors de la saison touristique. Parfois, même si les infrastructures ne dégradent pas, elles représentent un investissement public lourd à assumer toute l’année. À l'inverse, il peut être opportun de vouloir attirer plus de monde sur son territoire avec une offre complémentaire pour rentabiliser les infrastructures sous-utilisées sur les « ailes » de saison.

Ce travail d’optimisation sur les infrastructures d’accueil, Brives-la-Gaillarde l’a couplé avec un travail sur l’hospitalité en misant sur le potentiel des locaux. Brive Tourisme a développé le principe des PoHTes – pour « Points d’hospitalité touristique » – pour remplacer des bureaux d’information touristique de moins en moins fréquentés. « L’idée du PoHTe est de mettre en place un relais d’information touristique dans les villages : épicerie, boulangerie, café, mairie, agence postale… », explique Aurélien Charpille, directeur général de Brive Tourisme. « Ces personnes ont déjà un contact chaleureux avec nos touristes et naturellement leur donnent des infos touristiques lors de leurs échanges. » La structure les épaule avec plusieurs outils : signalétique, documentation, affiche et cartographie, formation et réunion de lancement, hotline et groupe Facebook, tout cela suivi par un conseiller en séjour. Résultat, des neuf points d’info touristique, seuls trois ont rouvert suite à la crise. Une vingtaine de PoHTes ont pris le relais avec une présence plus diffuse de l’information touristique sur le territoire et un rôle d’ambassadeur plus visible qui leur permet de créer un autre lien avec leur clientèle.

Équilibrer physique et digital

À Brives, c’est sur l’humain et la relation de proximité que le territoire a de nouveau misé pour relancer le réseau d’accueil. Bien sûr, ces PoHTes sont outillés, notamment avec des outils d’information numériques à leur disposition et à celle des touristes. Voilà qui traduit un autre aspect de cette recherche de l’équilibre : celui entre le digital et le physique. « Le digital apporte de la productivité, de l’efficacité, permet du déploiement massif et de la personnalisation, mais malgré tout ne permet pas de tout faire », souligne Vincent Gollain. « En marketing territorial, on ne vend pas un monde virtuel, mais bien un monde physique qui à la fin provoque une rencontre entre un individu ou un groupe d’individus et un territoire et ses habitants. »

Humanisation, personnalisation et invitation à la projection

Tout au long de ces Rencontres du marketing et de l’identité des territoires d’Annecy, deux mots revenaient dans les échanges : conversation et récit. Deux notions qui, pour Vincent Gollain, reflètent l’envie d’humanisation et de personnalisation qui constitue une toile de fond du marketing territorial depuis plusieurs années. « Cette tendance du retour à l’humain est fortement visible dans les vidéos, notamment immersives. On essaie de faire en sorte que, par le film, l’outil technique, la personne se projette. Les stratégies doivent réussir à composer entre les valeurs d’usages des différents publics qui expérimentent un territoire. En écho à la recherche individuelle de l’équilibre entre vie perso et vie pro, il faut pouvoir proposer à de potentiels nouveaux habitants des destinations équilibrées qui parlent à l’individu par rapport à ses souhaits d’habitant, mais également à l’individu en tant qu’entrepreneur, salarié, etc. Cela amène à construire un discours pas seulement tourné vers les touristes et l’extérieur mais réaliste dans les messages pour correspondre à ce que le futur habitant va venir expérimenter sur le terrain. »

Composer entre les valeurs d’usages des différents publics qui expérimentent un territoire.

Dans sa recherche d’équilibre, le marketing territorial doit donc composer avec les conflits d’usages, entre les besoins des différents types d’habitants, de visiteurs, d’entreprises, etc., dans une stratégie inclusive par rapport à ces différentes parties prenantes et créatrice de valeur en fonction des contextes, résume Vincent Gollain.

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