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Mettre les jeunes en capacité d'agir pour leur territoire

Publié le : 12 mai 2021 à 16:26
Dernière mise à jour : 17 mai 2021 à 14:28
Par Anne Revol

Comment inclure les publics peu intéressés, notamment les jeunes, à la réflexion sur leur territoire ? À Grenoble, le sociologue Erwan Lecœur est venu échanger sur cette question avec Geoffrey Couanon, réalisateur du film « Douce France », qui suit l’enquête de lycéens de Seine-Saint-Denis sur un projet de centre commercial et de loisirs géant près de chez eux, et pointer quelques écueils à éviter quand on communique sur la transition.

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Le film documentaire Douce France suit Amina, Sami et Jennyfer, qui enquêtent avec leur classe de première du lycée Jean-Rostand de Villepinte, sur le projet EuropaCity, un gigantesque complexe de loisirs et de commerces censé ouvrir en 2027 sur des terres agricoles de la ville voisine de Gonesse (Val-d'Oise). Le projet a été finalement abandonné par le gouvernement fin 2019, après la tenue d'un Conseil de défense écologique. Geoffrey Couanon a filmé en 2017 ces lycéens qui partent à la rencontre des nombreux « pro » et « anti » EuropaCity – des acteurs de l’aménagement du territoire, des associations, des commerçants, des habitants, et même des députés – pour comprendre l’incidence d’un tel projet dans leur vie et sur leur territoire.

Un outil de débat et de sensibilisation dans les territoires

À l’instar d’autres films sur les sujets liés aux changements socio-environnementaux, Douce France est à la fois un film documentaire sur la concertation, la participation et l'inclusion des publics, et un outil pour les favoriser. Pour les collectivités, il constitue un point de départ de débat et de sensibilisation à l’heure où la vidéo et l’image en général deviennent un support essentiel de la communication publique. Lors du Cap'Com tour le 2 avril dernier à Grenoble, le réalisateur a présenté des extraits de ce documentaire aux communicants en avant-première. Le film sort au cinéma le 16 juin 2021 et les territoires pourront ensuite s'en saisir pour animer la réflexion au niveau local avec les informations et outils qui seront mis à leur disposition sur le site du film.

« La transition, c’est un parcours »

Douce France donne à voir « le parcours de ces jeunes qui se rendent compte comme tout un chacun qu'ils sont acteurs de leur territoire », explique le réalisateur. « Un parcours qui parle à tout le monde. » « Il y a quelque chose d’universel chez ces adolescents », abonde Erwan Lecœur. « Ils sont comme tout le monde, dans une dissonance cognitive : ils pensent que ce serait peut-être bien de vivre mieux mais ils n'y arrivent pas. Dans le film, la question que posent ces élèves est nette : nous ne savons pas comment nous allons pouvoir vivre bien dans les temps qui viennent, nous n'avons pas d'imaginaire d'une vie meilleure. » Au début de ce documentaire, ces jeunes parlent de centre commercial, de copains, de faire de l’argent et d’aller au travail dans un bureau. Puis ils rencontrent dans des serres des agriculteurs qui leur expliquent leur travail, partagent leur expérience. Une rencontre qui permet, selon le sociologue :

  • « d'abord de voir qu’une vie meilleure est possible, ce qui n’est pas négligeable ;
  • ensuite qu'on peut prendre la conscience de son territoire tout simplement ;
  • et enfin, que cette possibilité d'une vie meilleure nécessite aussi de prendre conscience de la résilience ,c'est-à-dire la capacité à subir des chocs, ceux qui arrivent après la covid, ceux de la crise climatique et de la crise des ressources. Des chocs qui attendent ces jeunes et qui nous attendent tous. »

 Ces élèves sont au début d’un parcours initiatique, avec une pédagogie par l’exemple, voire par l’expérience, souligne Erwan Lecœur. « Si on veut faire changer les gens, il y a des étapes, parmi lesquelles ce parcours initiatique. »

Aller chercher les gens là où ils en sont, et là où ils sont

Pour le sociologue, le communicant doit être capable de s'adapter à « là où en sont les gens » au départ et les amener par étapes, par l’expérience et par l’exemple, à faire tout un parcours. « Le communicant doit arrêter de parler aux gens comme s'ils étaient tous déjà convaincus par la transition écologique. Nous sommes tous dans des expériences différentes dans des moments de vie différents. Ces jeunes ont envie de profiter du monde, pas forcément de regarder si on cultive les pommes de terre à côté. »

Prendre les gens là où ils en sont donc, mais également aller les chercher là où ils sont : « Tout ce qu'on peut imaginer sur les jeunes d'aujourd'hui, c'est en grande partie faux. On voit beaucoup trop les jeunes qui se mobilisent pour le climat et pas assez ceux qui ne se mobilisent pas et qui ont d'autres imaginaires. » Le sociologue pointe les limites des dispositifs traditionnels de démocratie participative qui rassemblent souvent les mêmes « têtes blanches » et rarement les jeunes. « Ce film va les chercher là où ils sont : à l'école. Toute personne qui travaille la transition écologique ou qui travaille à remanier un peu l'imaginaire de nos sociétés doit se poser la question : à quels endroits sont-ils ? Ils se trouvent à l’école et dans tout un tas d'endroits qui ne sont pas forcément les réunions publiques. »

La transition écologique est sociologique. Une transition sociologique, ça passe par un imaginaire. Et l'imaginaire, c'est la communication.

Erwan Lecœur

Encapaciter les gens

En sortant des milieux convaincus, l’enjeu n’est pas seulement d’amener les gens à participer mais surtout de les « encapaciter ». « Entre l'urbain et le rural, la capacité que les gens ont l'impression d'avoir sur leur territoire diffère. Dans le rural, les gens, notamment les agriculteurs, transforment le territoire. Dans les banlieues, dans la ville, on n'est pas en capacité de faire changer son territoire sauf à aller à une réunion. Le documentaire montre bien que ces jeunes qui habitent en banlieue, entre l’urbain et le rural, n'ont pas l'impression d'être “en capacité de”. Pour encapaciter les personnes, il y a là un vrai travail d'imaginaire à faire pour le communicant. »

Créer d’autres imaginaires

« Faire de la communication, c'est créer des imaginaires, travailler sur les normes, les valeurs qui guident nos sociétés. » Dans le documentaire, certains jeunes prônent comme première valeur l’argent et le fait d’avoir un travail. Un imaginaire qui colle naturellement à ce que la communication au sens large lui donne à voir, comme la mise en avant des premiers de cordée, la réussite. « Si on veut sauver des champs pour pouvoir faire de l’agriculture, il faut réaliser un autre imaginaire et pour cela les communicants sont en première ligne. »

Pour Erwan Lecœur, la communication publique, qui a pris une place importante dans le service public en temps de crise pour accompagner la parole auprès des publics, a des réponses à apporter :

  • l’exemplarité ;
  • le réalisme ;
  • ne pas penser que les gens savent déjà, continuer à expliquer ;
  • faire avec les gens : ne pas prendre une posture trop à côté.

Des erreurs à ne pas commettre en communication sur la transition

Lors des échanges avec les participants au Cap’Com tour, Erwan Lecœur et Geoffrey Couanon ont pointé quelques écueils à éviter dans une démarche de communication sur la transition :

  • prendre les gens là où ils ne sont pas encore : penser que les gens sont déjà conscients et finalement ne s’adresser par exemple dans les réunions publiques qu'à une petite portion du public déjà convaincue ;
  • ne pas tenir dans le temps : c'est promettre qu’on va engager quelque chose sur la question de la transition et, d’abord, ne pas être exemplaire en tant qu’institution, élu et communicant, ensuite, abandonner les gens en cours de route. Paradoxalement face à des urgences climatiques absolues, la communication doit reprendre le temps long et une forme de constance ;
  • être moralisateur : éviter de prendre les gens de haut et leur parler à égalité ;
  • parler d'écologie en abordant toujours les mêmes sujets : quand on parle de transition, on aborde souvent les pistes cyclables ou le tri, alors que l’écologie, c’est l’économie, le travail et la majorité des sujets du quotidien ;
  • ne rassembler autour de la table que des personnes avec lesquelles nous sommes déjà d’accord.

Photo principale : La classe travers le triangle de Gonesse (crédits : Elzévir Films - De Deux Choses Lune)

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