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Mondial de football : les acteurs publics jouent contre les paris sportifs

Publié le : 1 décembre 2022 à 07:28
Dernière mise à jour : 1 décembre 2022 à 16:10
Par Anne Revol

La Coupe du monde de football bat son plein, et la communication commerciale des opérateurs des paris sportifs aussi. Comme eux, plusieurs organismes publics et collectivités manient les codes urbains et les références des jeunes dans des campagnes de débanalisation des paris et de leurs dangers.

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Depuis l’ouverture à la concurrence en 2010, le marché des paris sportifs en ligne se développe à vitesse grand V. Pour ce Mondial 2022, l’Autorité nationale des jeux (ANJ) prévoit que les mises sur internet atteindront au minimum 530 millions d’euros, contre 435 millions lors du championnat d’Europe, en 2021, et 366 millions pour la Coupe du monde 2018. Un développement soutenu par des campagnes marketing renforcées des opérateurs de paris en ligne à chaque événement sportif qui ciblent et atteignent en particulier les jeunes. « 72 % des parieurs ont entre 18 et 35 ans (près de 50 % entre 18 et 25 ans). Ces joueurs sont souvent issus de milieux modestes et sont plus fréquemment chômeurs, relève Santé publique France, et particulièrement vulnérables au risque d’addiction. » « Les paris sportifs représentent le risque de jeu problématique le plus important au plan individuel. La part des joueurs à risque modéré est trois fois plus importante que pour les jeux de loterie, et la part de joueurs excessifs six fois plus élevée », explique l’ANJ.
Face à la forte augmentation et à la popularisation des paris sportifs, plusieurs organismes publics et collectivités locales se font une place au milieu des publicités des opérateurs du secteur qui banalisent et valorisent les paris sportifs auprès des jeunes, avec des campagnes qui jouent à armes égales.

L'ANJ parie sur le rap

Pour sa première campagne de sensibilisation aux risques d’addiction liés aux paris sportifs, l’Autorité nationale des jeux (ANJ) reprend les codes urbains utilisés par les acteurs des paris sportifs pour atteindre deux objectifs : lutter contre les fausses croyances associées aux paris sportifs et sensibiliser les jeunes joueurs aux vraies conséquences du jeu excessif.
Au centre de sa campagne, un rap intitulé « T’as vu, t’as perdu », produit en collaboration avec des pointures du rap français – dont le beatmaker BLV –, qui raconte la chute tragique d’un parieur, pris dans la spirale infernale de l’addiction aux paris sportifs, trop sûr de ses capacités à se refaire. Diffusé sur les plateformes de streaming, le morceau est mis en images dans un clip, mélangeant prises de vue réelles et typo kinétiques.

Certaines des punchlines percutantes qui rythment la vidéo sont reprises en affichage dans le métro parisien et sur Snapchat, réseau social très plébiscité par la cible. Le dispositif est complété par un relais influenceurs avec le collectif Smile sur TikTok et Snapchat, et par une collaboration avec le site Booska-P et la radio Skyrock. Les messages incitent les joueurs à se rendre sur le site evalujeu.fr pour évaluer leur pratique du jeu et obtenir des conseils adaptés pour garder la maîtrise ou se faire aider si besoin.

Slogan contre slogan en Seine-Saint-Denis

Jouer sur le même terrain (les réseaux sociaux) avec les mêmes armes (codes, langage, références culturelles des jeunes, voire des jeunes issus des quartiers populaires), c’est aussi la stratégie choisie par la Seine-Saint-Denis, en faisant le pari du détournement. Le département le plus jeune et le plus populaire de France, particulièrement confronté aux conséquences des paris sportifs, contre-attaque face à l’intensification des publicités des opérateurs de paris en ligne pendant la Coupe du monde au Qatar.

Chiffres à l’appui, sa campagne détourne deux slogans d’un célèbre site de paris en ligne : « Grosse cote, gros grain, gros respect » devient « Grosse mise, grosse perte, grosse galère » ; « Tout pour la daronne » (interdite en mars dernier, voir notre encadré) se transforme en « Retour chez la daronne »… Les deux détournements sont déployés sur les réseaux sociaux – Twitter, Facebook, Instagram, TikTok avec le hashtag #NosParisLeursProfits – et sous forme d’affiches dans les Abribus du département. La campagne devait se déployer dans les centres commerciaux, mais l’afficheur a refusé la campagne détournant le slogan de l’opérateur de paris sportifs avec qui il travaille, explique le président de la Seine-Saint-Denis dans Les Échos.

Les initiatives s’accélèrent pour modérer la publicité des opérateurs de paris en ligne

En mars 2022, c’est Winamax qui s’est vu refuser une campagne justement détournée par la Seine-Saint-Denis. L’ANJ lui a retiré l’autorisation d’utiliser sa publicité « Tout pour la daronne » sur la base de son décret du 4 novembre 2020 précisant que la communication commerciale ne doit pas inciter à une pratique de jeu excessive, banaliser ou valoriser ce type de pratique, ni suggérer que jouer contribue à la réussite sociale.

Une décision qui fait suite à l'émission en février 2022 des lignes directrices − à valeur d’obligation − et des recommandations, pour préciser la mise en application du décret de 2020. Le 7 novembre dernier, opérateurs, ANJ, régies publicitaires et supports ont signé quatre chartes pour « modérer la pression publicitaire et promouvoir une publicité responsable » sur quatre supports : télévision, radio, affichage et numérique. « Les sites se sont engagés à exclure les publicités à proximité des établissements scolaires et à réduire de quatre à trois le nombre de spots diffusés à chaque coupure télévisée ou radio. Les acteurs dans les publicités devront avoir plus de 25 ans, à l’exception des sportifs eux-mêmes. Sur internet, les sites limiteront leurs campagnes à trois spots par jour, par utilisateur et par support, et les influenceurs mobilisés ne devront pas être trop populaires auprès des mineurs », précise Le Monde.

Ce mardi 29 novembre, une proposition de loi relative à la lutte contre les addictions aux jeux d’argent et de hasard, et à la régulation de la publicité pour les paris sportifs en ligne a été déposée à l’Assemblée nationale.

Santé publique France s'attaque aux idées reçues

Santé publique France a lancé pendant le mois précédant la Coupe du monde sa première campagne de prévention aux dangers liés aux paris sportifs : « Parier, c’est pas rien. » Pour l’organisme, impliqué dans la prévention et la réduction des risques liés aux conduites addictives, l’objectif est de diminuer le nombre de parieurs à usage problématique et d’améliorer la connaissance des conséquences importantes sur la santé et la situation sociale des joueurs qui les pratiquent, notamment les jeunes, et de leur entourage.
La campagne s’attaque aux idées reçues sur les paris sportifs à travers un « débrief », une émission débat en format audio court. Mohamed Bouhafsi, journaliste sportif et chroniqueur dans l’émission « C à vous », et Laurent Karila, addictologue, interrogés par le comédien Fred Testot, décryptent en 30 secondes à 1 minute le fonctionnement des paris sportifs : les techniques marketing des opérateurs de jeux, l’illusion des gains et de l’expertise, les mécanismes et les conséquences de l’addiction.

Ces vidéos et des témoignages audio orientent vers le dispositif d’écoute et d’aide à distance Joueurs Info Service comprenant un numéro de téléphone, le 09 74 75 13 13, accessible 7 jours sur 7 de 8 h à 2 h du matin, anonyme et non surtaxé, et le site internet joueurs-info-service.fr, proposant un forum de discussion, un chat, un espace questions/réponses, des témoignages et de nombreuses informations. Plusieurs des vidéos diffusées sur la chaîne YouTube de Joueurs Info Service et sur les réseaux sociaux ont enregistré entre 1,5 et 2 millions de vues.