
Têtes de non
Peut-on créer de la cohésion avec des gens qui ne s’aiment pas (a priori) ?
Par Vincent Lalire, membre du Comité de pilotage de Cap'Com, responsable de la communication interne du département de la Seine-Maritime, enseignant en communication politique.

Dans une vie fort lointaine (je n’officiais pas encore en qualité de responsable de la com interne d’une grande collectivité), je fus cet agent territorial que toute tentative d’hameçonnage corporate rebutait. La fameuse « culture d’entreprise » que mon homologue de l’époque souhaitait développer provoquait chez moi une réaction épidermique immédiate. Toute invitation à rencontrer mes collègues dans un cadre extraprofessionnel recevait inévitablement une fin de non-recevoir.
Qu’on me sollicitât pour un tournoi de foot interdirections, un pique-nique bucolique interne ou une visite d’exposition « réservée », le verdict était le même : non. Pire encore, qu’on me consultât pour donner mon avis sur les menus du restaurant administratif, sur la physionomie du futur intranet ou sur la façon d’améliorer la QVT : la réponse était toujours la même : non, non et non ! L’honnêteté m’oblige aujourd’hui à reconnaître que je devais être une sacrée « tête de non » !
Mais pourquoi une telle hostilité de ma part à l’égard des efforts émérites de mon prédécesseur pour créer du lien ? Quelle mouche m’avait donc piqué pour que je sois aussi opposé aux moments de convivialité ? Et comment celui que j’étais à l’époque (éternel donneur d’avis sur les affaires du monde) pouvait-il soudain se murer dans le silence dès qu’il s’agissait de s’exprimer sur une consultation interne ? La réponse tient en trois éléments : pas le temps, pas l’envie, pas d’illusions. Explications.
Pas le temps…
Si l’on trouve toujours les heures nécessaires pour accomplir au mieux sa mission, ce pour quoi on est payé (parfois même au détriment de sa santé mentale), on ne trouve pas forcément celles pour se consacrer au superflu, au facultatif, à l’optionnel. « Sitôt mon travail effectué, je file à la maison pour m’occuper de mes propres agents de 6 et 12 ans. Le match de foot interdirections attendra », peut-on entendre. Réaction légitime.
Pas l’envie…
Pourquoi le fait de travailler dans une entreprise impliquerait-il l’envie de batifoler avec ses collègues, de s’acoquiner avec ses voisins de bureau, de connaître les uns ou les autres hors du cadre professionnel ? « Je préfère passer du temps avec des gens que j’aime et que j’ai choisis, plutôt qu’avec des individus que le hasard de la vie a placés à mes côtés : le pique-nique bucolique, très peu pour moi. » Attitude compréhensible.
Pas d’illusions…
Que les administrations soient promptes à demander l’avis de leur personnel sur mille et un sujets, cela ne fait aucun doute. Mais qu’elles s’engagent à respecter les résultats de ces consultations, à changer l’organisation interne dans le sens de la majorité des répondants, c’est beaucoup plus rare. « Je préfère ne pas donner mon avis que participer à une comédie de démocratie participative. Mon point de vue sur la QVT ne me semble pas primordial. » Décision respectable.
Avec tout ça, le malheureux responsable de la communication interne a de quoi se couper les cheveux en quatre. À quoi bon déployer une énergie du diable pour créer de la cohésion au sein d’une institution si la majorité du personnel n’y adhère pas ? Pourquoi imaginer des dispositifs innovants de consultation s’ils ne recueillent la participation que d’un cinquième de l’effectif ? Comment réunir des gens qui ne s’aiment pas ?
Or donc, la « tête de non » que j’étais dans mes fonctions précédentes se retrouve propulsée, voici huit ans, responsable de la communication interne d’une collectivité de 5 500 âmes ! Diantre. À moi de développer la fameuse culture d’entreprise et de créer du lien. À moi de convaincre les récalcitrants, les hésitants, les « désabusés » de la cohésion. Je m’applique aussitôt la devise ultime qui me sauvera d’un fatalisme dévastateur : « Oublie que t’as aucune chance, vas-y, fonce. On sait jamais, sur un malentendu, ça peut marcher. »
Je commence bien sûr par m’attaquer à ceux (dont j’étais) qui n’ont jamais le temps… Ceux-là seront toujours difficiles à convaincre au-delà de l’heure de pointage. Avec ma petite équipe, nous privilégions donc la pause méridienne pour proposer des temps d’échanges et de rencontres. Le café, c’est un moment cool. Nous imaginons aussi des animations hors temps professionnel (week-end compris), ouvertes non seulement à l’agent mais aussi à son conjoint, ses enfants. La famille, ça marche toujours.
Deuxièmement, j’essaie de convaincre ceux qui n’ont jamais l’envie de participer à quoi que ce soit de franchir le Rubicon. Il est absolument indispensable de surprendre pour conquérir ces spécimens (dont j’étais). La com plan-plan, ça les laisse de marbre. Éveiller la curiosité, user des codes modernes permet souvent de redonner le goût du corporate à quelques brebis égarées. L’innovation permet de réintroduire le goût du collectif. Nous avons vu ainsi des agents disparus des radars réapparaître.
Troisièmement, je m’attaque à l’Everest : celui des agents qui ne se font pas d’illusions. Les « douteux ». Pour les atteindre, il faut redonner confiance dans la parole de l’institution. Si la collectivité associe le personnel au changement, ce ne doit pas être un coup de com. Il nous faut fournir des gages, des preuves. Si la parole de chacun a vraiment du poids, si l’on prend en considération les situations particulières des agents, alors le sentiment d’appartenance sera renforcé. La cordée sera solidaire. Cela ne relève évidemment pas de la com seule.
Bien sûr, la « tête de oui » que je suis devenu aurait pu étayer cette démonstration de multiples exemples. Mais avec Jean Breillat, le prodigieux responsable de la com interne de la ville de Tours et de Tours Métropole, nous préférons écouter les vôtres. Nous vous donnons rendez-vous au Forum Cap’Com d’Angers, le mercredi 19 novembre à 17 heures, pour un palpitant tapis de paroles intitulé : « Comment inclure et assurer la cohésion de groupe ? » Venez partager vos expériences et vos solutions. Et soyez-en assurés : nous, on vous aime.