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Où en sera la confiance dans la parole publique ?

Publié le : 7 mai 2020 à 09:00
Dernière mise à jour : 12 juin 2020 à 09:51
Par Alain Doudiès

Nous le savons : l’impératif déterminant de la communication publique est de pouvoir s’appuyer solidement sur la crédibilité de la parole publique pour viser à la renforcer, afin de susciter l’intérêt et la compréhension et, mieux encore, l’approbation et l’adhésion. Cette crédibilité résulte de la confiance dans l’émetteur lui-même, dans ses propos, et avec la comparaison, par les citoyens, entre la réception des annonces et la perception des réalisations. Évidences à examiner d’un œil nouveau, banalités à revisiter, hypercrise oblige.

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Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.

Le drapeau de la confiance des Français dans l’action publique était déjà en berne. Il ne flotte pas plus haut. Les études convergent. Un petit tiers des Français est méfiant à l’égard de la gestion de la crise par le gouvernement (1). Un quart seulement considère qu’il a dit la vérité (2). La confiance dans les statistiques officielles est, elle aussi, faible (3). Ne nous penchons pas sur ce phénomène national, aux causes profondément politiques. Mais examinons-en les conséquences pour la communication publique locale.

Voici toutefois deux points de repère, issus de la situation actuelle, mais à valeur générale. Rony Brauman, ex-président de MSF, souligne : « Il y a un cercle vertueux de la confiance, comme il y a un cercle vicieux de la défiance. » Sebastian Roché, sociologue, directeur de recherche au CNRS, indique : « Le consentement au confinement (…) repose sur la confiance dans les institutions. (…) La légitimité du pouvoir à contraindre est au cœur de sa capacité à gouverner : pour être efficace, il lui faut gagner ou regagner la confiance (4). »

Le gouvernement a donné le la

Dès le début de la crise, par sa puissance et sa solidité historiques dans le fonctionnement du pays et dans l’imaginaire des citoyens, l’État s’est immédiatement imposé. De manière incontestée, cette légitimité l’a campé naturellement au premier rang. Dans la crise, la communication gouvernementale a donc donné le la. Les collectivités locales ont suivi la musique en relayant scrupuleusement les consignes nationales. Et elles ont développé leurs propres contenus, sur les mesures locales de sécurité sanitaire, d’accompagnement social et d’appui aux entreprises. Dans la communication institutionnelle de crise, la répartition des tâches entre le national et le local s’est installée aisément.

Mais, depuis quelques jours, on entend une petite musique jusqu’alors imperceptible. De nombreux maires lancent : « Nous devons mettre en application des décisions du gouvernement qui s’imposent à nous sans concertation. Nous gérons mieux la crise que l’État parce que nous sommes au contact des réalités du terrain. Il faut décentraliser davantage. » L’antique et toujours nécessaire débat entre girondins et jacobins revient sur le devant de la scène. De son côté, l’État est demandeur d’une coopération renforcée. Édouard Philippe : « Un travail intense entre les maires et les préfets, les maires et les sous-préfets va permettre de déterminer le dispositif précis de déconfinement. » Nous verrons si, dans quelques mois ou plutôt quelques années, les libertés locales gagnent de nouveaux espaces.

Vers de nouveaux fondamentaux sur la raison d’être de la communication publique locale ?

En attendant cette éventuelle nouvelle étape de décentralisation, une série de questions va se poser aux communicants publics, dès l’automne et au-delà.
Des questions sur le contexte :

  • Les élus locaux, avant l’hypercrise relativement épargnés par la défiance à l’égard des pouvoirs, le resteront-ils ? Il semble que oui puisque 75 % des Français considèrent qu’ils sont à la hauteur de la situation(5).
  • Aux yeux des habitants, chaque élu sortira-t-il renforcé ou affaibli de sa gestion de la crise ?
  • Plus généralement, le niveau local sera-t-il plus encore légitimé par la population, en raison de sa capacité à apporter aux demandes des réponses adaptées, concrètes, effectives ?
  • Le climat général actuel de défiance pèsera-t-il sur la crédibilité de la parole publique des collectivités locales ? Une communication gouvernementale abîmée impactera-t-elle la communication publique locale ?

À ces interrogations générales s’ajoutent des questions, stratégiques et opérationnelles, sur la communication, en particulier celles fondées sur l’analyse des liens, ces dernières semaines, entre la communication publique locale et les autres : la communication de l’État, y compris celle, déconcentrée, des préfets et des agences régionales de santé ; la communication des hôpitaux et des autres sources dans le champ de la santé et de la médecine ; la communication des acteurs de la vie économique.

  • La communication locale a-t-elle été bridée, voire empêchée, par la communication de l’État ? Ou ont-elles fonctionné en parallèle ? Ou bien y a-t-il eu de véritables coopérations ?
  • Dans ce système complexe, la communication publique locale s’est-elle, non seulement engagée à partir de ses acquis, mais a-t-elle ouvert de nouvelles voies, à emprunter à l’avenir ?
  • Pourra-t-on identifier des objectifs, pas seulement sur notre faculté d’adaptation des outils aux contraintes, mais aussi sur notre capacité, plus ambitieuse, à définir de nouveaux fondamentaux sur la vocation, la raison d’être de la communication publique locale ?

Et bien d’autres questions encore que Cap’Com examinera, en fournissant des repères pour le futur, lors du Forum, à Rennes, en décembre prochain. Une perspective exigeante et excitante.


(1) Enquête du CEVIPOF du 2 au 15 avril. « Parmi les qualificatifs suivants, quels sont ceux qui caractérisent votre état d’esprit actuel ? » Pour 32 % des Français, c’est d’abord la méfiance (+ 2 % par rapport à février). Seulement 10 % des Allemands (+ 2 %) et 8 % des Britanniques (+ 2 %) ont la même attitude.
(2) Sondage Ifop pour
Le Journal du Dimanche, les 29 et 30 avril. « Diriez-vous que vous avez confiance ou pas dans le gouvernement pour faire face efficacement au coronavirus ? » Confiance : 39 % (57 % les 19 et 20 mars).
(3) Baromètre de la confiance politique Sciences Po-CEVIPOF-SOWELL du 2 au 7 avril. Confiance sur le nombre de morts : 45 % ; sur le nombre de cas infectés : 40 % ; sur le nombre de masques disponibles : 28 %.
(4) « Confiance et consentement sont au cœur de la maîtrise du coronavirus », analyse qui m’a permis de donner corps à mes intuitions. http://tnova.fr/notes/confiance-et-consentement-sont-au-coeur-de-la-mai…
(5) Sondage Odoxa pour Le Figaro et France Info des 5 et 6 mai. « Dans la situation actuelle, comment jugez-vous l’attitude des acteurs suivants ? A la hauteur de la situation : maires 75 %, entreprises 69 %, habitants 39 %, gouvernement 34 %.