
Communication et jeunes : 5 exemples pour éviter les faux pas
Alors que l’enjeu de l’information est plus que jamais à mettre au centre des problématiques démocratiques, les collectivités territoriales ont un rôle à jouer pour retenir l’attention de nos plus jeunes citoyens. Mais attention aux idées préconçues et autres clichés. Les jeunes, bien qu’appartenant à une même génération, ne forment pas un groupe uniforme. Décoder leur différence dans ce qui peut faire leur cohérence semble être la clé. Exemples avec 5 opérations et des solutions pour éviter les (faux) « faut pas » dans vos communications.
Cet article s'inspire de la conférence hop « Des idées pour que les publics jeunes s’engagent » du 12 décembre 2024 au Forum de Lille, animée par Julien Bordas, responsable com numérique d’Orphéopolis, avec Guilhem Bertrand, chef du service digital de la ville de Nîmes ; Amandine Derachinois, responsable de la création, et Mathieu Morchipont, responsable web et multimédia de la ville de Roubaix ; Rym Nassef, dircom, et Scharazed Bensmati, community manager de la ville d’Évry-Courcouronnes ; Laurence Perez, dircom de la ville de Villeurbanne ; et Fabien Reyre, dircom de la ville de Pontault-Combault.
Deux étudiants ont dressé la liste des faux pas inspirés de cette conférence : Julien Clément et Mélanie Le Cornec, étudiants en master 2 communication publique et politique à l’université Rennes 2. Ce retour sur les interventions est également construit à partir du compte-rendu d'Eleanor Amir Combo, Emmy Bailleux, Alice Challet, Amida Hamid et Mariama Sarr, étudiantes en master 2 communication des organisations, en parcours communication sociale et management de l'information à l’université Lumière Lyon 2.
Nîmes : une stratégie social média pour les jeunes
La ville de Nîmes, 150 000 habitants dont 40 % de moins de 30 ans, et un pôle universitaire avec 16 000 étudiants, est présente sur les principaux médias sociaux : Instagram, X, Facebook, YouTube, TikTok, LinkedIn. Fin 2023, la collectivité change sa stratégie social média avec pour objectifs de toucher de nouveaux publics et rajeunir l’audience, d’augmenter la portée de ses publications et de valoriser et affirmer « la marque » Ville de Nîmes. L’aboutissement d’un travail en plusieurs étapes. D’abord un diagnostic de leurs comptes qui aboutit à plusieurs constats. La fréquence de publication est bonne, les sujets et actualités de la ville sont traités. Mais les formats ne sont pas adaptés, il y a beaucoup de reprises d’affiches print et partages de liens. Le ton est classique et les vidéos très institutionnelles. Ensuite, une analyse des codes de chaque plateforme pour tenter de comprendre et dompter l’algorithme, et identifier les formats qui fonctionnent. Enfin une veille sur les médias sociaux, notamment sur les contenus du Monde, de Brut ou de HugoDécrypte.
À partir de ce travail, les communicants définissent une nouvelle offre éditoriale sur les médias sociaux municipaux pour continuer à valoriser la ville mais avec un traitement différent fondé sur plusieurs partis pris :
- se considérer comme un média à destination de leurs usagers ;
- créer des rendez-vous éditoriaux ;
- diversifier leurs formats ;
- adopter un ton plus engageant, moins institutionnel, et des formats originaux qui correspondent aux codes de chaque plateforme ;
- et se doter d'une charte graphique social média sobre mais identifiable.
Aux manettes : une créatrice de contenus, un vidéaste, une social média manager et trois journalistes multimédia qui se réunissent chaque semaine pour définir planning, sujets, etc. Résultat : en 2024 avec la même fréquence de publication et 0 euro en budget sponsorisation, l’audience a clairement rajeuni par rapport à 2023. Et les compteurs augmentent : + 10 000 abonnés sur Insta et Facebook, + 7 000 sur LinkedIn, des réactions et impressions en hausse de plus de 100 % et même 200 % sur LinkedIn, et 2,5 millions de vues sur la chaîne TikTok. Créée fin 2023, elle est rythmée par quatre publications par semaine, des trends, des formats incarnés, le tout en mode « test and learn ». Définir une ligne éditoriale pour cette nouvelle chaîne est l’une des pistes d’amélioration envisagées par les communicants, avec la création d’une chaîne WhatsApp, la réalisation de campagnes de communication plus ciblées et une réflexion sur une communication digitale plus sobre mais toujours efficace.

Les (faux) faut pas identifiés et des idées pour les éviter
❌ Miser uniquement sur la sponso de contenus
✅ Ce n’est pas un passage obligé.
❌ Utiliser les réseaux sociaux comme une plateforme de diffusion de contenus préexistants
✅ Un contenu natif pour les réseaux sociaux, c’est plus de pertinence dans les codes pour plus d’engagement.
❌ Réinventer la brouette en refusant de s’inspirer des médias sociaux
✅ Puisque Le Monde, Brut, HugoDécrypte ou les sites d’infos fonctionnent, jetez-y un œil, sans perdre de vue la compublique touch.
❌ Perdre de vue ce que nous sommes ou au contraire refuser de s’insérer dans un écosystème
✅ Adoptez une optique créateur de contenus, en n’hésitant pas à s’afficher face cam et affirmer la marque de la collectivité.
❌ S’accrocher à un ton trop institutionnel et à des contenus à la réalisation toujours complexe
✅ Cultivez la proximité et la concision dans le ton et gardez en tête que la vidéo toute simple du chantier de voirie en cours au coin de la rue peut être très appréciée par les jeunes.
❌ Penser que les jeunes ne s'intéressent qu’à des sujets spécifiques
✅ Oui, oui, on peut parler histoire et patrimoine aux jeunes sans fuite des cerveaux !
Roubaix : « C’est tneket »
À Roubaix, 50 % des habitants ont moins de 30 ans. Malgré une hyperconnectivité, une faible appropriation des services numériques persiste sur la tranche 15-30 ans, alimentée par une méfiance envers les institutions et la forte présence de comptes non officiels. Pour rendre les services numériques visibles et attrayants pour les jeunes, la ville a lancé la campagne « Roubaix.fr c’est tneket » utilisant leur langage (« tneket » signifiant « truc de ouf ») et leurs codes culturels en lien avec l’art urbain très présent dans la ville.
Une page dédiée regroupant tous les services en ligne pour les jeunes est ainsi créée et promue via la diffusion de cartes postales, de tracts avec QR code et une campagne d’affichage dans des lieux bien ciblés, structures jeunesse et structures municipales. Elle est notamment relayée par des vidéos sur les réseaux sociaux, complétée par des jeux concours et micros-trottoirs, et reprise par les associations locales de jeunesse grâce à des partenariats habiles. Budget de l’opération 2 300 euros pour des résultats tangibles : + 1,8 million de vues sur TikTok/Instagram, + 15 % d’abonnés sur Instagram, + 15 % de fréquentation du site web. « Tneket a attiré l’attention des jeunes, qui se sont identifiés à la campagne », expliquent Amandine Derachinois, responsable de la création, et Mathieu Morchipont, responsable web et multimédia de Roubaix, pour qui les formats web et la diffusion print adaptée à la cible expliquent la réussite de la campagne. Pour la suite, ils envisagent d’inclure davantage d’événements physiques (stands, animations) dans la campagne, de mobiliser l’ensemble des acteurs jeunesse et des influenceurs locaux, et de décliner la campagne avec d’autres expressions roubaisiennes.

Les (faux) faut pas identifiés et des idées pour les éviter
❌ Se croire incontournable et solo sur le marché des infos
✅ Soyez un média capable de concurrencer les comptes non officiels et de marcher sur leurs plates-bandes car vous êtes une source d’infos fiable et ça, ça n’a pas de prix.
❌ Se tenir à l’écart du cadre de référence des jeunes (par peur du décalage)
✅ Sans emphase, soyez en phase avec le langage et les références des jeunes de votre territoire, dénichez l’expression bien de chez vous qui fera mouche.
❌ Penser que les trends, c’est pas pour l’acteur public
✅ Inspirez-vous des trends TikTok et autres contenus viraux pour en subvertir les codes au service du service public.
❌ Être persuadé que jeunes hyperconnectés veut dire jeunes hyper à l’aise avec les démarches en ligne
✅ Proposez une landing page ciblée pour les besoins des jeunes pour un accès rapide et efficace, sans prise de tête.
❌ Adopter une esthétique qui sort de nulle part parce que c’est joli
✅ Recherchez ce qui fait le lien entre les formes d’art plébiscitées par les jeunes et l’identité du territoire.
❌ Inonder tout le territoire avec une campagne estampillée « pour les jeunes »
✅ Ciblez les lieux où les jeunes se (re)trouvent (les structures jeunesse par exemple).
❌ S’accrocher à son logo comme si sa vie de collectivité en dépendait
✅ Essayez le sans logo pour moins de méfiance et plus de crédit accordé à votre propos.
Évry-Courcouronnes : une stratégie globale pour les jeunes
Évry-Courcouronnes est une ville jeune, une ville campus, qui comporte sept quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) sur 10 quartiers avec plus de 70 langues parlées quotidiennement. C’est aussi le berceau des cultures urbaines. Une spécificité qui, avec l’e-sport, est ressortie des échanges avec les jeunes. La ville les a interrogés sur ce qui les anime dans leur quotidien (habitudes, hobbies, passions) pour construire ensuite une stratégie globale pour la jeunesse : répondre à leurs souhaits (se retrouver, événementiels…), faciliter leur insertion, leur compréhension des décisions qui les concernent, les faire accéder à leurs droits.
La communication priorise l'image, la couleur et l'urbanisme, avec de l'affichage (pochoirs minibus) notamment pour des événements comme le festival Made in EC, et de la com digitale (sur Instagram, TikTok) qui reprend les codes de la culture urbaine (dynamisme, instantanéité avec des lives) et populaire. Musique, objets, ambiance entre amis, Évry-Courcouronnes utilise les codes des jeunes sans tomber dans les clichés pour leur parler.

Les (faux) faut pas identifiés et des idées pour les éviter
❌ Considérer les jeunes comme une problématique
✅ Considérez-les comme une ressource avec de l'énergie à revendre et prenez en compte la multiculturalité.
❌ Contourner la culture urbaine et les nouveaux usages numériques, négliger l’attrait de la beauté
✅ Mobilisez la poésie de l’urbanisme et du street art grâce à des visuels photo de grande qualité et des sons qui parlent aux jeunes.
❌ Faire disparaître les élus de la com car ils ne seraient pas attractifs pour les jeunes
✅ Intégrez-les en leur faisant adopter les codes des jeunes et rendez visibles les visages des jeunes.
❌ Prendre le temps de produire systématiquement des contenus qui demandent du temps de préparation
✅ Agitez l'algorithme grâce à des contenus courts, des lives lors d’événements, des paroles de jeunes habitants sur le vif, donnez à voir le territoire en vie.
❌ Tomber dans les clichés en exploitant toujours le même filon
✅ Restez vigilant pour ne pas paraître méprisant.
Villeurbanne : recruter pour le conseil des jeunes
Villeurbanne cherche à recruter des jeunes (12-21 ans) pour le conseil villeurbannais de la jeunesse. « Ceux qui y participent trouvent ça top », explique Laurence Perez, dircom de Villeurbanne. « Et pourtant la ville peine à renouveler les effectifs et à toucher de nouveaux jeunes. » La solution des communicants face à ce constat : tout changer.
Pour donner envie aux jeunes de participer à la vie citoyenne, de faire entendre leur voix et de concrétiser leurs idées pour améliorer la vie et la ville, la communication s’appuie sur un nouveau ton, plus direct, des illustrations originales au style ludique, et un message recentré sur l’essentiel : le besoin à satisfaire et la promesse tenue. La campagne est déployée essentiellement sur les réseaux sociaux, avec tous les formats : stories, carrousels, vidéos témoignages, spots audio, etc. pour un budget global de 3 000 euros. Résultat : 10 nouveaux jeunes ont rejoint le conseil villeurbannais de la jeunesse pendant la campagne, soit un quart de l’effectif. Pour améliorer l’impact des prochaines opérations de recrutement, TikTok sera intégré au plan de communication sur les réseaux sociaux et la campagne sera lancée dès la rentrée, pour tirer parti des temps forts de communication liés à la reprise scolaire et au mois étudiant.

Les (faux) faut pas identifiés et des idées pour les éviter
❌ Abandonner la sponsorisation
✅ Sponsorisez des contenus sur des réseaux sociaux que les jeunes fréquentent assidûment, comme Snapchat.
❌ Déserter Facebook parce que Facebook, c’est has been
✅ Il y a encore une partie de la cible jeunes sur Facebook, à ne pas négliger.
❌ Promouvoir un message en des termes complexes sans promesse
✅ Allez droit au but avec un ton direct et l’emploi du tutoiement, ainsi qu’un rapport « besoin à faire conscientiser » / « bénéfice à retirer ».
❌ Utiliser un design institutionnel
✅ Optez pour un design sous forme d’illustrations ludiques et pleines de peps !
Pontault-Combault : raconter la ville différemment sur Instagram et dans la newsletter
La ville de Pontault-Combault cherche quant à elle à toucher d’autres publics en racontant la ville différemment. Pour diffuser ses messages auprès des publics qui ne lisent pas le magazine et ignorent Facebook, elle retravaille deux outils : son compte Instagram et sa newsletter Ponto Expresso. Deux supports 100 % faits maison. Les communicants les dotent d'une identité forte, instantanément identifiable, qui parle aux jeunes comme aux adultes et s'emploie à casser les codes de la com institutionnelle dans l'idée d'informer les abonnés… en s’amusant !
Ton décalé, approche différente des sujets, posts – trois par semaine en moyenne – conçus comme des mini-articles : le compte Instagram est éditorialisé et sa patte graphique rend ses contenus immédiatement reconnaissables. Rééditorialisation aussi pour la newsletter hebdomadaire Ponto Expresso : « Cinq infos à lire en 5 minutes chrono », envoyée tous les vendredis. Le comité éditorial se réunit une fois par semaine pour décider des contenus. Sur Instagram, la ville compte 650 followers de plus en huit mois (5 250 followers au 1er décembre) avec une hausse des profils de 18-24 ans et des 25-34 ans par rapport à 2023. L’esthétique et le ton du compte sont appréciés des publics jeunes et permettent d’augmenter la visibilité des dispositifs jeunesse de la ville. Sur sa lancée, la ville travaille à l’amélioration de l’engagement, de la participation, de l’utilisation des stories et des reels, et envisage le lancement d’un compte TikTok.

Les (faux) faut pas identifiés et des idées pour les éviter
❌ Avoir un compte sur les réseaux sociaux (Instagram par exemple) qui ne reflète pas une identité propre
✅ Bâtissez une stratégie de communication complète permettant d’identifier immédiatement la collectivité et concevez des posts réellement informatifs à la tonalité journalistique.
❌ La newsletter, un concept mort ?
✅ Lecture plus rapide qu’un mag de collectivité, facile d’accès car directement dans la messagerie, elle a bien des atouts.
❌ Le titre, ce n’est pas le plus important
✅ La titraille, c’est le nerf de la guerre, soyez inventif pour attirer le lecteur.
❌ Donner l’impression que, si la cible ne consulte pas régulièrement le compte, elle ne rate rien
✅ Mettez en place des contenus qui font revenir régulièrement, par exemple un calendrier de l’Avent.
❌ Faire des changements incognito
✅ Teasez votre relooking parce qu’il le vaut bien !
❌ Penser la cible jeune comme un tout homogène
✅ Il y a autant de jeunesses que de jeunes, gare à l’uniformisation.