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Concilier attractivité et préservation : la com innovante de deux hotspots touristiques

Publié le : 10 juin 2025 à 23:28
Dernière mise à jour : 12 juin 2025 à 17:12
Par Anne Revol

Face à la surfréquentation touristique et à ses impacts sur les sites naturels et patrimoniaux, la gestion des flux est devenue un enjeu majeur pour les collectivités et leurs communicants. Aux dernières Rencontres du marketing et de l’identité des territoires, les responsables communication de deux hotspots touristiques, le parc national des Calanques et le Mont-Saint-Michel, ont partagé leurs stratégies innovantes pour conjuguer préservation et attractivité, avec deux approches différentes mais un même défi : sensibiliser sans contraindre, réguler sans dénaturer.

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Zacharie Bruyas, responsable de la communication du parc national des Calanques, et Manon Laclau, responsable de la communication de l’établissement public national du Mont-Saint-Michel, ont présenté leur stratégie aux Rencontres du marketing et de l’identité des territoires 2025 à Lyon lors de l’atelier « Tourisme durable et responsable : concilier attractivité et préservation ». Retour sur leurs interventions à partir du compte-rendu et de l’infographie réalisés par Chloé Radet et Sonia Emonide (pour l’infographie), étudiantes en master communication publique et politique à l'université Rennes 2.

Parc national des Calanques : du démarketing à la réservation

« Dès la création de l’établissement public du parc national des Calanques en 2012, la surfréquentation de l’unique parc national urbain en Europe est déjà bien identifiée », explique Zacharie Bruyas, son responsable de la communication. Trois millions de visiteurs par an viennent dans ce site, classé parmi les hotspots mondiaux de biodiversité terre et mer. Une mission interne est mise en place en 2019 pour analyser cette pression touristique, qui s’est encore accentuée après la crise sanitaire. « On ne parle pas de surtourisme mais de surfréquentation, car cela ne concerne pas que les touristes, mais aussi beaucoup les locaux », précise le responsable com. En 2020 des queues se sont créées pour aller dans la mer depuis la calanque. Des scènes qui seront exploitées dans le cadre d’une stratégie de démarketing « à la tonalité franche, parfois piquante mais toujours bienveillante ».

À gauche, ce que la marque du Parc valorisait : la Calanque avec la mer en arrière-plan plus que l'humain. À droite des images auparavant sans intérêt pour les communicants, utilisées pour la campagne de démarketing.

Objectif : sensibiliser le public, partager l’enjeu et susciter le débat. Sur le site web du parc national, une communication volontairement piquante et décalée met en avant les niveaux de fréquentation en été par l’image et le texte avec des entrées éditoriales affirmées et un discours de vérité sur les réalités du territoire : dénivelé, étroitesse des lieux, absence d’équipement, conditions météo difficiles. Des photos de bouchons et de files d’attente sont partagées en live sur les réseaux sociaux et les chiffres de fréquentation sont restitués en temps réel sur une appli mobile. En parallèle la sensibilisation aux règles sur la prise de vues dans les parcs nationaux et des procédures contre les influenceurs non déclarés sont lancées.

Bien que son impact direct sur la fréquentation soit difficile à mesurer, cette stratégie a suscité une prise de conscience collective et un large débat médiatique, notamment autour de la notion de démarketing largement reprise dans la presse. « Nos partenaires touristiques d’abord décontenancés nous ont ensuite aidés : partenariat avec l’office de tourisme de Marseille OTMC pour “soulager” les calanques, campagne waze avec le CRT... »

« Réserver c’est préserver »

Avec des partenaires impliqués, des journalistes beaucoup plus sensibilisés et « aidants », et une opinion a priori plus favorable pour la mise en œuvre de mesures de protection, le parc national s’attaque ensuite à une problématique en lien avec la surfréquentation : l‘érosion majeure de la calanque de Sugiton. Face au risque de « perdre » le paysage de manière irrémédiable, il met en place à l’été 2022 une réservation gratuite obligatoire de mi-juin à mi-septembre via un QR code et la plateforme Troov. Un changement de règle lié à l’érosion, un sujet pas évident à traiter, dont il faut informer la population locale et les touristes. Avec le risque que la mesure génère un sentiment de perte de liberté.

Pour répondre à cet enjeu fort de communication, le parc national place le visiteur en position d’agir avec la campagne « Réserver c'est préserver ». Le message donne du sens à la réservation et engage le visiteur dans un acte de protection du site. Il occupe une place centrale sur le visuel de campagne qui mobilise avec parcimonie la beauté du site et met en scène la jeunesse marseillaise, cible prioritaire de la campagne. « Nous ne voulions pas que la population jeune, locale et urbaine se sente éloignée de la réservation. Donc nous avons communiqué sur les réseaux sociaux : campagne Google Ads, Meta, TikTok Ads, avec l’influenceur local Briac. » La campagne se déploie également en affichage urbain et DOOH dans le métro marseillais, en affichage signalétique sur site, et des flyers dans les hôtels et chez les acteurs sociaux. La diffusion a également bénéficié de la très forte attente des médias sur cette mesure évoquée par le parc à partir de 2021.

Les résultats se sont révélés positifs : un site apaisé avec la réduction du nombre de visiteurs de 3 500 au pic d’affluence à 400 maximum par jour, des signes d’une érosion ralentie et d’une reprise de la végétation, et « une mesure plébiscitée par le public qui redécouvre le site et accepte d’y aller moins pour y aller mieux ». Les problématiques de surfréquentation du territoire sont désormais identifiées. La fréquentation se stabilise, avec des pics moins importants en été et des saisons toujours satisfaisantes pour les acteurs du tourisme.

« Demickéfier » le Mont-Saint-Michel

« Contrairement aux calanques, l’enjeu du Mont-Saint-Michel n’était pas de limiter la fréquentation mais de mieux la répartir sur l’année », a expliqué Manon Laclau, responsable communication et programmation culturelle de l'établissement public national du Mont-Saint-Michel qui assure la gestion, la coordination, la préservation et le développement du site depuis 2019. Dès l’origine, l’évolution du Mont-Saint-Michel est liée à la fréquentation. Menacé par un ensablement de sa baie accéléré par des aménagements (canalisation, barrage, route d’accès, parkings au pied des remparts…), inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco mais sans plan de gestion, le site fait l’objet d’une opération du rétablissement du caractère maritime entre 1995 et 2005. Il atteint son record de fréquentation en 2023 avec 2,8 millions de visiteurs et une affluence concentrée sur une quinzaine de jours critiques où l’équilibre est fragile entre attractivité et préservation.

Comme pour les calanques, « on ne parle pas non plus de surtourisme car il n’y a que ces 15 jours dans l'année qui sont surfréquentés ». Et comme dans les calanques, « on nous a demandé quand nous allions mettre en place le système de réservation. Mais le Mont-Saint-Michel est une commune. On ne peut pas la fermer. Et notre objectif n’est pas de faire baisser la fréquentation mais de la lisser ». L’établissement public cherche alors à mieux rétablir les flux avec une nouvelle approche. « Énormément d'acteurs prennent la parole sur le Mont-Saint-Michel avec souvent le discours “carte postale”. Nous voulions “démickéifier”, démystifier la visite du site, sortir de cette image de carte postale et éviter les expressions comme “merveille” et autres superlatifs, et contrer les légendes urbaines sur la fréquentation. »

Pour cela, les communicants installent une nouvelle prise de parole dans les médias pour déconstruire certains clichés autour du Mont, en valorisant son authenticité et en modifiant le champ lexical employé. Objectif : changer le regard sur le Mont-Saint-Michel en promouvant des alternatives, telles que la richesse du patrimoine naturel, les activités culturelles et sportives, et les nouvelles expériences de visite. Cette démarche a conduit à la création d’une marque officielle, et d’un logo qui vise à proposer une nouvelle représentation du site.

Les actions de communication ont d’abord reposé sur la diffusion de contenus fiables et vérifiés via le site web, les réseaux sociaux et via une newsletter et des communiqués de presse. Puis les messages ont porté sur la biodiversité et l’environnement pour sensibiliser aux enjeux du tourisme responsable. L'établissement public met aussi en scène des membres de ses équipes pour incarner la vulgarisation historique et scientifique, humaniser les missions de préservation et capter une audience sur les réseaux sociaux.

Un travail important a été mené avec les acteurs relais afin d’améliorer la gestion des flux et développer des offres alternatives, comme les visites nature, et les offres culturelles et sportives, pour valoriser, notamment auprès des locaux, la possibilité de vivre à n’importe quel moment de toute l’année autre chose qu’un aller-retour à l’abbaye. Une campagne de communication « Idéal en hiver » est diffusée en affichage urbain à Paris en 2023 et 2024 pour promouvoir le hors-saison et « oser » parler du « Mont sans le montrer ».

Les premiers résultats sont encourageants : une augmentation de 10 % du nombre de visiteurs en décembre, amorçant un début de lissage de la fréquentation, 4 000 réservations pour les visites nature et une fréquentation de 500 000 personnes pour les événements culturels et sportifs depuis leur mise en place en 2022. Autre indicateur notable : des médias de plus en plus friands d’autres sujets que celui de l’hypertourisme.

Des exemples qui illustrent le rôle essentiel de la compublique dans la gestion du tourisme durable

« Si les calanques et le Mont-Saint-Michel font face à des défis distincts, ces deux exemples illustrent le rôle essentiel de la communication publique dans la gestion du tourisme durable », résument les deux étudiantes qui nous proposent ci-dessous une synthèse des stratégies présentées. « Informer sans culpabiliser et sensibiliser sans contraindre sont des leviers fondamentaux pour préserver ces sites exceptionnels sans en restreindre l’accès. Ces expériences montrent que la communication est un outil puissant pour encourager un tourisme plus responsable et inciter les visiteurs à redécouvrir ces territoires autrement. Un enjeu majeur qui invite les communicants publics à explorer de nouvelles approches face aux défis du tourisme de demain. En tant qu’étudiantes en communication publique et politique, nous avons apprécié l’approche innovante des intervenants face aux enjeux de la surfréquentation touristique, nous permettant de mieux comprendre l’importance d’une communication bien pensée pour gérer des sites sensibles sans pour autant imposer des restrictions drastiques. Nous avons aussi trouvé intéressant le rôle de la sensibilisation à travers des stratégies – comme le démarketing – qui ouvrent des pistes concrètes pour des projets futurs dans le domaine de la communication publique.  »

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