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Là, tout n’est que sobriété, calme et robustesse

Publié le : 26 novembre 2025 à 07:07
Dernière mise à jour : 27 novembre 2025 à 14:51
Par Christophe Devillers

Eliud Kipchoge est le champion achevé d'une discipline ingrate et hors de la lumière (double champion olympique et recordman du monde de marathon en 2 heures et des poussières !). Dans un « récit » personnel évocateur, il lie admirablement les mythes de l'Antiquité (le fameux messager de Marathon, celui qui meurt à l’arrivée) et ceux du futur (le dépassement de soi, par l’alliance de l’esprit et du corps invincibles). Et s’il constituait le nouveau modèle méthodologique pour les territoires partant à la conquête de l’attractivité ?

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Par Christophe Devillers, consultant, ancien directeur adjoint de l'agence d'attractivité Mulhouse Sud Alsace et membre du Comité de pilotage de Cap'Com.

Pour des raisons diverses, je me suis intéressé à Eliud Kipchoge, un athlète hors normes qui n’est pas seulement le meilleur marathonien de l’histoire. Il est aussi, me semble-t-il, une leçon vivante pour nos territoires et nos collectivités engagés sur le grand critérium de l’attractivité, comme pour les entreprises d’ailleurs, qui s’y essaient déjà. Avec lui, la performance cesse d’être une affaire de chiffres pour devenir une affaire d’équilibre. Son secret ? Discipline, simplicité, clarté, et une foi inébranlable dans le collectif.

Tout ce qu’il fait se traduit d’une certaine manière au travers de l’idée de robustesse, au sens qu’en donne Olivier Hamant (1), biologiste et directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) : la capacité à durer, à encaisser, à rester cohérent dans un monde d’excès.

De la performance à la robustesse

Depuis longtemps, les politiques d’attractivité carburent à la performance : fréquentation, événements, retombées, classements. On voulait briller, rayonner, « faire le buzz ». Puis l’époque a changé. La promesse tenue ou bien encore l’adhésion des habitants au projet d’attractivité sont devenues des marqueurs incontournables. Dans un monde saturé (les « mercatos » hors de prix, les sollicitations, l’infobésité, le fameux « surtourisme », etc.), les territoires qui tirent leur épingle du jeu ne sont plus, ne seront plus, forcément les plus visibles, mais les plus lisibles. Comme le souligne Olivier Hamant, ce n’est pas le plus fort qui survit, mais le plus robuste, celui qui sait encaisser le choc, choisir et trier, s’adapter, se régénérer.

La cohérence gratifie

Sans être un enfant de chœur de la communication (il la contrôle parfaitement), Kipchoge, revenons-y, s’entraîne à Eldoret, au Kenya, dans une simplicité monastique. Pas de visibilité hors de la piste, pas de sponsors ostentatoires ; il partage sa chambre, nettoie le réfectoire, chahute avec ses coéquipiers. Le champion du monde balaie la salle avant que d’arpenter et de conquérir la planète.

Comme lui, aujourd’hui, les territoires n’ont pas besoin de surjouer leur attractivité, mais de cultiver leur justesse. Ceux qui réussissent parlent vrai, montrent ce qu’ils sont, assument et disent leurs limites autant que leurs forces. C’est d’ailleurs souvent, nous le savons, la simplicité qui séduit.

À la rescousse, whisper pop et quiet luxury

Dans la pop, on est passé des grandes voix d’ampleur et spectaculaires à une tendance lourde qu’on nomme whisper pop (la « pop chuchotée ») dont Billie Eilish est l’une des éminentes représentantes.
Dans la mode, c’est le quiet luxury qui émerge, le « luxe calme ». Quand on a d’énormes moyens, on n’affiche plus la marque de son vêtement et on choisit des couleurs discrètes et fondues. De quoi accréditer Saint-Exupéry, selon lequel « la perfection est atteinte, non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retirer ».

L’attractivité durable ou comment courir pour durer

La robustesse prospère dans la sobriété. Le territoire robuste ne s’épuise pas à plaire à tout le monde. Il écoute ses habitants, valorise ses ressources, respecte ses écosystèmes. Entre adaptation et adaptabilité, il choisit la seconde, bien plus gratifiante. En effet, « l'adaptation » est une mutation contrainte qui assujettit, tandis que « l’adaptabilité » est une capacité à évoluer délibérément, de façon consentie et programmée. En clair (enfoncerais-je une porte ouverte ?), le territoire robuste ne communique pas plus, il communique mieux. (2)

Et, dans la foulée, la confiance

Inspirons-nous du marathonien : soyons sobres mais constants, clairs mais profonds, produisons des actions et des messages simples mais inspirants. Ne cherchons pas à battre des records de likes, mais donnons envie de revenir à ceux qui sont là. Ça n’est que si l’attractivité se respire qu’elle se déploie. Et parions que même Kipchoge, un jour, s’est arrêté pour refaire son lacet. Sans jamais faillir, on continue alors à avancer, avec élégance et confiance, malgré tout, sous le soleil comme dans la bourrasque. La robustesse.


1. Antidote au culte de la performance. La robustesse du vivant, Olivier Hamant, Tracts (n° 50), Gallimard.
2. Ce sujet, traité sous cet angle, était à l’ordre du jour de l’un des ateliers du parcours « Marketing territorial » au Forum Cap’Com d’Angers fin novembre 2025.