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Le « journalisme de solutions » active l’information locale

Publié le : 8 juillet 2021 à 07:07
Dernière mise à jour : 8 juillet 2021 à 16:37
Par Alain Doudiès

Le phénomène émerge. Il essaime ici et là : « journalisme de solutions », « journalisme constructif ». Entre les médias installés – ou en leur sein – et la presse des collectivités locales, un nouvel espace apparaît.

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Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.

Ces innovations ne sont pas des plus neuves. Depuis 2004, les Reporters d’espoir ensemencent le terrain avec publications, plateforme de mise en relation, formations, prix. Cette ONG est une pionnière du journalisme de solutions. Elle le définit ainsi : « Analyser et diffuser la connaissance d’initiatives qui apportent des réponses concrètes, reproductibles, à des problèmes de société économiques, sociaux, écologiques. » Et avec l’ambition de « recréer de la confiance dans l’information ».

« Cela reste du journalisme »

Ces mouvements en profondeur sont apparus dans la lumière, en septembre dernier, lors du FIL (Festival de l’information locale). Plusieurs intervenants ont présenté et analysé le phénomène. Parmi ces témoignages significatifs, celui du collectif Antidotes, créé en 2018 par deux journalistes toulousaines, Marine Mugnier et Delphine Tayac. Pigistes pour des titres de la presse régionale ou nationale, elles dressaient alors ce constat : « Défiance des lecteurs, traitement anxiogène des informations, travail de terrain insuffisant. » Leur réponse de « remise en question » : « Renouveler les angles, donner une visibilité nationale à des initiatives locales, créer des liens avec les lecteurs. »

Un an plus tard, maturation de cette démarche avec le lancement, fin septembre, de « Bien urbains », newsletter d’information constructive pour changer de regard sur nos villes. La ligne éditoriale ? « Les initiatives collectives qui permettent de rendre la ville plus conviviale, plus ludique, plus verte, plus sereine. » Avec quelque malice, le duo ajoute : « Ça sonne un peu comme un programme de maire démago, mais cela reste du journalisme. » Donc, des enquêtes, de l’esprit critique avec l’identification des faiblesses des initiatives. Rien à voir avec la complaisance et la connivence de certains médias avec les élus locaux (1).

Le journalisme de solutions n’est pas que l’enthousiasmant dessein de fringants jeunes journalistes. Il commence à pénétrer chez les mastodontes de la PQR, avec un authentique engouement… sans que les objectifs de marketing soient absents. Ainsi, au FIL 2020, Sandrine Thomas, rédactrice en chef de La Montagne, a montré comment le journal a été « le porte-voix des usagers » sur les retards des trains, démonstration qui a conduit la SNCF à « rendre des comptes ». Gabriel d’Harcourt, directeur général délégué de La Voix du Nord, a expliqué que six mois de travail sur le harcèlement scolaire avaient permis d’élaborer huit « propositions concrètes », dont deux ont été reprises par le recteur de l’académie. De même, Laurent Guimier, directeur de l’information de France Télévisions, indiquait, en janvier dernier, que le « journalisme de construction » était sur sa feuille de route.

Ce mouvement vers un journalisme constructif est mondial. Un site dédié, Solutions Journalism Network, le démontre. Une étude, que ce réseau a réalisée avec l’Engaging News Project auprès de 755 Américains adultes, montre que le journalisme de solutions est prometteur pour trois raisons :

  • les lecteurs ont davantage le sentiment d’être bien informés ;
  • la confiance se renforce entre les lecteurs et les médias ;
  • l’engagement des lecteurs augmente : nombre de partages sociaux, nombre de lectures sur le site du même auteur, sur le même sujet (2).

Une analyse du phénomène est proposée par une ancienne journaliste, Pauline Amiel (3). Docteur en sciences de l’information et de la communication, directrice adjointe de l’École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille, elle distingue quatre ressorts du journalisme de solutions :

  • valoriser le territoire ;
  • rendre service ;
  • renforcer la proximité avec le public ;
  • repenser le travail des journalistes.

Les lignes bougent

Le journalisme de solutions se développe, avec, à terme, réussites et succès, et aussi impasses et simulacres. En quoi les communicants publics doivent-ils repenser leur vision de l’information locale ? Certes, l’édition 2020 du Baromètre Epiceum & Harris Interactive de la communication locale a montré que, pour s’informer sur la vie locale, les Français placent les publications des collectivités (71 %) et leur site internet (63 %) avant, entre autres, la presse hebdomadaire régionale (55 %), les radios régionales et locales (50 %) et la PQR (49 %).

Mais, dans ce champ de l’information locale, les lignes bougent. Le duo d’Antidotes dit ainsi : « Il ne faut pas laisser le lecteur dans l’impression que tous les élus sont pourris. Certaines collectivités font bien. » Pauline Amiel constate que le journalisme de solutions conduit à « repenser le rôle citoyen des médias » et qu’il s’agit d’un « quasi-service public de l’information ». Martin Oswald, responsable de la transformation digitale du groupe suisse CH Media (St. Galler Tagblatt, Luzerner Zeitung), considère que, pour faire face à la chute des recettes publicitaires, une des réponses est que le journalisme local est un service public et qu’il doit donc être financé par l’État. De même, outre-Atlantique, l’universitaire Victor Pickard plaide pour un « système public de médias », soutenu par l’argent public, voire pour des médias créés par des administrations locales.

En France, la situation est différente. Mais ces signes font sens. Des mutations sont en cours. Entre les divers médias locaux et la presse institutionnelle, aujourd’hui souvent dégagée de la gangue officielle, plus proche des lecteurs et orientée vers la vitalité associative (4), que va-t-il se passer, dans les années qui viennent ?

Coexistence ? Concurrence ? Collaboration ? À suivre…


(1) Contribution – espérée ! – au financement participatif pour l’infolettre et aussi pour des webinaires, afin de creuser certains sujets, et une communauté, le « Club Bien urbains ». https://www.collectifantidotes.com
(2) https://mediaculture.fr/journalisme-de-solutions-reconcilier-les-lecteu…
(3) Le Journalisme de solutions, éditions Cairn, 2020.
(4) Le prochain Festival de l’information locale, les 23 et 24 septembre, à Nantes, consacrera une séquence à la présentation, par le dircom de Mulhouse, Marc-Antoine Vallori, de M+, le magazine de la ville, prix « Projet éditorial » dans le palmarès 2021 Cap’Com de la presse territoriale.