
Pages de com : « L’Heure des prédateurs » par Giuliano da Empoli
C'est dans le sillage de cette incroyable querelle entre deux loups, Trump et Musk, qu'il faut ouvrir ce livre. Il jette une lumière crue sur ces prédateurs sans foi ni loi, populistes, démagogues, magnats de la tech libertariens ou juste ultralibéraux. Les communicants publics ont-ils pris la mesure de ce qui advient, alors que les citoyens se moquent de plus en plus de savoir ce qui est réel et ce qui ne l’est pas ?
Si vous aviez l’intention de passer une bonne journée, ne lisez pas cet article et encore moins le livre qu’il relate : L’Heure des prédateurs de Giuliano da Empoli (Gallimard). Cet essai prolonge l’un de ses précédents, Les Ingénieurs du chaos, où ce conseiller politique et essayiste, enseignant à Sciences Po, démontrait dès 2019 de manière très convaincante (et glaçante) que la montée du populisme n’était pas un accident, mais un projet rationalisé et technologiquement piloté par des acteurs et entrepreneurs capables de manipuler les émotions et les algorithmes à des fins électorales.
Après les ingénieurs, voici donc venu le temps des prédateurs qui en sont les émanations. Qui sont-ils ? D’une part, les dirigeants politiques populistes voire fascisants, tels que Donald Trump, Nayib Bukele, Mohammed ben Salmane, Javier Milei et leurs zélateurs, et de l’autre les magnats de la tech. Leur projet ? Semer le chaos pour capter la richesse et prendre le pouvoir. Leurs armes ? La sidération et les plateformes en ligne. « Tant que la compétition politique se déroulait dans le monde réel, sur les places publiques et dans les médias traditionnels, écrit Empoli, les coutumes et les règles de chaque pays en déterminaient les limites, mais quand il déménage en ligne, le débat public se convertit en une foire d’empoigne où tout est permis et où les seules règles sont celles des plateformes. » Leur stratégie commune ? « Identifier les sujets chauds, les fractures qui divisent l’opinion publique ; pousser, sur chacun de ces fronts, les positions les plus extrêmes et les faire s’affronter ; projeter l’affrontement sur l’ensemble du public, afin de surchauffer de plus en plus l’atmosphère. »
« Ils tirent leur force de l’inattendu, de l’instable et du belliqueux. » Ça vous parle ? Les responsables politiques réellement démocrates sont impuissants face à cette logique. Non seulement ils ont pris l’habitude de se coucher devant les entrepreneurs de la tech « dans l’espoir qu’un peu de poussière de fée rejaillirait sur eux », mais ils sont dans l’incapacité d’entrer dans ce paradigme d’artifices sans se trahir. Ils sont trop « réels », dirait Naomi Klein, et ne peuvent survivre à l'époque. Et nous, communicants publics au service de ces responsables politiques, avons-nous pris la mesure de ce qui advient, alors que nos publics se moquent de plus en plus de savoir ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, voire se satisfont de la réalité de la fausseté, comme devant un combat de catch ? Ne sommes-nous pas, finalement, comme la grenouille dans la casserole ?

« Aujourd'hui, écrit Giuliano da Empoli, l’heure des prédateurs a sonné et partout les choses évoluent d'une telle façon que tout ce qui doit être réglé le sera par le feu et par l’épée. »
Allez, une petite devinette pour détendre l'atmosphère : savez-vous ce qu’est un optimiste ? Un pessimiste mal informé… Bonne journée quand même.
L'Heure des prédateurs
Giuliano da Empoli
Collection blanche
Gallimard
3 avril 2025
152 pages