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Une communication prise entre deux feux

Publié le : 22 septembre 2022 à 07:00
Dernière mise à jour : 22 septembre 2022 à 17:03
Par Yves Charmont

Cet été chacun a pu suivre l’actualité de ces immenses feux en Gironde et certains ont pu se questionner sur ce que devaient vivre les communicants publics du territoire. Ils se sont justement confiés lors de la réunion régionale Cap’Com de Pessac il y a deux semaines.

C’est le propre de la com de crise, les communicants y sont mobilisés en urgence et doivent agir de façon exceptionnelle. Risque naturel, accident industriel, violences urbaines : chaque fois les collègues deviennent des « pompiers » au service des acteurs de la sécurité et du secours, des habitants, des élus et de leur administration. Et lorsqu’il s’agit d’incendies, le parallèle est encore plus facile à faire. Mais que vivent-ils pendant ces journées interminables ?

Sophie Billa, cheffe du bureau de la communication interministérielle de la préfecture de la Gironde depuis dix-sept ans, se souvient du point de bascule : « Nous étions en effectifs réduits car c’était les vacances d'été et la semaine du 14-Juillet. En fin d'après-midi, j’ai reçu des informations sur la nature du premier incendie, il dépassait déjà la taille de celui, important, de 2015 (650 hectares). Le second progressait lui aussi très vite. Le lendemain, à 7 heures du matin, j’accompagnais la préfète sur site. Nous ne nous sommes pas quittées pendant douze jours ! » C’est la plus grosse crise qu’elle a dû gérer alors qu’en France il ne se passait rien d’autre, « donc nous avons eu une pression médiatique énorme ».

Alimenter la presse mais aussi informer la population en direct

Rappelons cet épisode en quelques chiffres : un total (à ce jour) de 21 000 ha brûlés, deux événements simultanés à une heure d’intervalle : La Teste-de-Buch et Landiras. 36 000 personnes évacuées. « Tout allait vite, on avait à peine le temps de communiquer qu’il fallait évacuer des populations »… Le téléphone portable de Sophie Billa se mettant à sonner toutes les 10 secondes avec, au bout du fil, un ou une journaliste d’un grand média national lui proposant un direct sur tel ou tel site, avec la préfète ou un des sous-préfets.
Ne sachant pas naturellement quand tout cela prendrait fin, il a fallu rapidement mettre en place une stratégie de communication pour informer la population, la protéger, répondre aux médias, coordonner les prises de parole de l'État entre la préfète, les sous-préfets d’arrondissements et les services opérationnels (pompiers, policiers, gendarmes)… Il était nécessaire d’avoir des données et des messages coordonnés.

Et « il fallait être présent sur place pour arriver à gérer la presse ». D’où le recours immédiat à des boucles SMS. Cependant la solution s’est avérée efficace mais laborieuse, car limitée à 20 numéros par boucle (il lui en a fallu trois finalement) et, s’il fallait le refaire, Sophie Billa aurait dès le début engagé ses relations avec les journalistes à travers une liste WhatsApp.

Pour nous, le plus compliqué était de coordonner, rassembler de l’information.

Sophie Billa, dircom de la préfecture de la Gironde
Sophie Billa
Frédéric Duprat
Anne-Sophie Moulinier

« Au plus fort de la crise, on a eu huit équipes de TF1 et sept équipes de BFMTV sur le terrain » et toutes demandaient des infos, des précisions (y compris à 4 heures du matin !), ou alors « relayaient des infos venant du terrain qu’il nous fallait vérifier de notre côté ». Ce fut également le cas avec un tweet d’un membre du gouvernement qui, d’ailleurs, s’est révélé inexact : « Certaines fausses informations se sont greffées à la gestion de la crise, il faut arriver à gérer ce genre de chose. » La préfecture a organisé ses journées ainsi :

  • point de situation par le COD (cellule de crise activée en préfecture) sur Twitter/Facebook à 7 heures (mais rien avant pour que les équipes puissent dormir un peu !) pour les journaux de 8 heures, à faire valider par le Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) ;
  • à 9 h 30, un communiqué de presse puis des points presse de la préfète et/ou des deux sous-préfets sur les deux incendies en présence du SDIS ;
  • idem pour la mi-journée et l’après-midi sur site avec un suivi de l’organisation des directs TV ;
  • un communiqué le soir pour clore la journée ;
  • et des posts sur les réseaux sociaux plusieurs fois par jour.
     

Dans le temps de cette crise « nos réseaux sociaux ont explosé, ajoute la dircom de la préfecture de la Gironde, sur Facebook on a pris 12 000 abonnés en plus ». Et la diffusion d’informations n’a pas pris fin avec les flammes fin juillet… « Il a fallu arriver à gérer la fin de crise jusqu’au retour à la normale. On a donc organisé une grosse conférence de presse de sortie de crise. » Mais le feu couvait encore. Landiras 2 naîtra de ces cendres, de la canicule, de la sécheresse et du vent, encore, deux semaines plus tard, et sera même plus violent à certains égards, détruisant des habitations vers Belin-Beliet.

Vinrent ensuite les premières polémiques, sur les choix concernant les zones de réintégration des populations par exemple, auxquelles il a fallu répondre avec les arguments techniques qui avaient prévalu, etc. Les effectifs mobilisés étaient épuisés, la dircom également.
Et ce n’est pas fini : d’autres sujets de communication sont à l’ordre du jour actuellement : « Comment reconstruire les forêts, ou indemniser la population ? Ce sont des problématiques qui prendront des mois, voire des années. »

On a tout de suite tenu à accompagner cette communication. C’est pourquoi un porte-parole était là.

Frédéric Duprat, dircom du département de la Gironde

Une situation qu’a connue en parallèle Frédéric Duprat, le dircom du département de la Gironde : « Les collectivités locales et le département étaient en collaboration. » Le président du département, également président du CA du SDIS de la Gironde, était lui aussi sur site. Cependant, en termes de communication, le département ne publiait pas d’infos, mais avait un porte-parole. Leurs enjeux étaient centrés sur le lien avec les maires des communes évacuées, leurs populations, les touristes du secteur ; avec des cas compliqués de toutes petites communes, isolées en forêt, pour Landiras. « On ne voulait pas que les communes éparpillées se sentent abandonnées. »

Cette volonté de serrer les rangs est une constante dans le discours du dircom du département : « Ce qui est important, c’est qu’on connaît les acteurs avec qui on travaille. Cela facilite le fait qu’on arrive à mieux coordonner la communication. » Mais au-delà, il s’agissait de même de gérer les solidarités : « On a ouvert la communication sur des dispositifs d’aide, d’accompagnement et de solidarité pour encourager l’effort des pompiers. » C’est d’ailleurs une véritable stratégie de communication qui s’est articulée autour de cet élan de solidarité qui a été leur marqueur et qu’ils ont voulu accompagner. Comme ils ont accompagné les installations des groupes de soldats du feu venus de plusieurs pays européens : « On avait un peu l’impression d’être derrière la ligne de front avec une armée en mouvement. »

Au-delà de la com de crise, une vraie expertise et un travail de fond

Un engagement des dircoms qui les a bousculés, renforcés, fatigués également : « C’est une expérience qui marque en tant que professionnel », précise Frédéric Duprat. « Ces périodes de crise restent bien évidemment des moments parmi les plus importants car nous sommes au cœur de notre métier. Notre travail prend un sens évident, et nous n’avons plus la barrière des validations. » Sans pour autant voir gommer totalement les freins et les obstacles qui jalonnent le parcours communicant en temps normal. « On doit se remettre constamment en question », affirme le dircom du département de la Gironde, qui explique que, dans la crise, il faut absolument chasser ce qui pourrait apparaître comme un aspect grisant (le rythme, l‘exposition) et qui viendrait annuler tout le travail d’un bon professionnel. Les dircoms mobilisés ont dû conserver un regard affûté et une capacité de réflexion et d’analyse. Une complicité est d’ailleurs née cet été, et elle se voyait à la tribune de cette réunion à Pessac. « On avait des situations humaines différentes sur les deux terrains, ce qui explique les petits désaccords qu’on avait à gérer. »

Sang-froid donc. Et il sera d’ailleurs rapidement mis à l’épreuve car la polémique n’est pas loin, jamais loin avec les réseaux sociaux hyper réactifs. N’importe quoi peut être relayé à tort, par n’importe qui, monté en épingle, ou servir à détruire l’unité des effectifs en lutte. « On a su gérer les polémiques, on faisait en sorte que les connexions s’établissent. »

Il va falloir qu’on monte des actions pour montrer que toute la forêt n’est pas détruite.

Anne-Sophie Moulinier, dircom de la CA du bassin d’Arcachon nord

Un sang-froid dont les dircoms de tout le bassin ont dû faire preuve également. Car ne pas être en première ligne n’a pas évité d’être impliqué en termes de compublique pendant ces semaines sous haute tension, comme l’a confirmé Anne-Sophie Moulinier, dircom de la communauté d’agglomération du bassin d’Arcachon nord : « Nous avons relayé vos infos, cet été on ne communiquait que sur de l’alerte. » Elle a d’ailleurs elle aussi mesuré combien communiquer dans la tourmente nécessitait une bonne préparation et des compétences qui allaient au-delà de la maîtrise des aspects urgents : « Il faut faire de la pédagogie en amont pour éviter d’être dans la crise constante. »

Concernant les effets sur le tourisme et la fréquentation du territoire, alors que Frédéric Duprat indiquait que les bilans de saison qui sortent ne sont pas si catastrophiques que cela, Anne-Sophie Moulinier ajoutait : « Ce qui a été compliqué, c’est que pour tout le monde le bassin d’Arcachon brûlait. Certains ont eu peur de venir. Nous avons communiqué sur la réouverture du bassin, rapidement, ainsi que sur la dune du Pilat pour recréer quelque chose de fort. Nous avons relayé l’info en travaillant avec les communes. » Mais tout reste à faire, et c’est bien l’an prochain que l’on saura si, en termes d’attractivité et de fréquentation, le territoire a retrouvé son rang : « Le syndicat du bassin d’Arcachon travaille sur un plan de relance avec une campagne pour la préservation de la forêt. Un travail de fond dont nous attendons les premières actions », disait-elle en conclusion.

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