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Le community manager doit-il dévoiler son identité ?

Publié le : 2 juillet 2020 à 06:32
Dernière mise à jour : 2 juillet 2020 à 11:11
Par Marc Cervennansky

Un ou une community manager doit-il ou elle afficher sa véritable identité ou se retrancher derrière l’identité de sa collectivité ? Cette question touche aux fondements de l’appropriation des réseaux sociaux par une collectivité publique.

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Par Marc Cervennansky.
@Cervasky

« Je peux avoir votre identité s’il vous plaît ? » Imaginez l’appréhension de Reynald face à son écran, à la lecture de cette demande d’un usager sur Facebook.

Reynald est responsable de la communication d’une commune de Haute-Savoie et il anime, entre autres, la page Facebook de la ville.

Révéler ou non son identité, la question posée n’est pas anecdotique. Elle a généré plus d’une centaine de commentaires et avis sur le groupe Facebook des community managers (CM) publics, où Reynald a interrogé ses pairs sur la meilleure attitude à tenir.

Dans quels cas l’identité réelle du community manager peut-elle être affichée ?

  1. C’est un choix assumé, intégré dans la stratégie éditoriale de la collectivité. Se présenter sous sa réelle identité, c’est établir une relation personnalisée et humanisée avec les usagers.
  2. La situation est conflictuelle : l’usager demande qui lui répond derrière l’institution. En général ça n’est pas bon signe et ça présage d’une menace de dénonciation s’il n’obtient pas satisfaction.
  3. C’est un plan drague. Plus rare, mais cela arrive : l'usager demande l'identité de LA community manager dans l'espoir de la rencontrer et plus si affinités (voir l’exemple dans ma précédente chronique).

« J’aimerais beaucoup beaucoup pouvoir répondre avec le même humour, la même liberté que lui »

Le cas n° 1 est rare. L'exemple le plus connu est sans doute le CM de Décathlon. Yann Amiry est aux manettes des réseaux sociaux de la marque. Il a bénéficié plusieurs fois des honneurs de la presse sur la manière dont il gérait avec intelligence, sous son identité réelle, les polémiques provoquées sur les comptes de l’entreprise de distribution d’équipements sportifs.

Marion Pellé (département des Pyrénées-Atlantiques), dans le groupe Facebook des CM d’institutions publiques, admire la liberté et le ton employé sur les réseaux sociaux de Décathlon : « Je ne sais pas si ce serait transposable dans nos structures. Mais j’aimerais beaucoup beaucoup pouvoir répondre avec le même humour, la même liberté que lui. »

Franck Confino, consultant, formateur et fondateur de l’Observatoire socialmedia des territoires, estime que le choix d’être identifié ou pas appartient au CM, comme le fait de signer ou non les articles du magazine. Mais répondre sous sa réelle identité, uniquement en message privé, est une manière d’adoucir les échanges. C’est du cas par cas : « Parfois on ne veut pas engager la collectivité dans son propos. Et cela permet aussi de rappeler à la personne énervée que le CM n’est pas responsable de tous ses maux mais qu’il essaie de lui rendre service (...). Voilà deux cas dans lesquels je le préconiserais... avec finalement un seul juge de paix : le CM lui-même ! »

Thomas Biarneix, qui a occupé plusieurs postes de CM, confirme : « L'incarnation de la personne derrière la fonction permet, dans la plupart des cas, d'humaniser notre travail, de rappeler à nos interlocuteurs que nous sommes des humains aussi. Ça ne s'est jamais retourné contre nous, même si j'entends le facteur risque. »

« Un maillon qui n’est pas omniscient mais essaie de faire du mieux qu’il peut »

Le cas n° 2 est plus problématique. L’usager, de bonne ou mauvaise foi, n’est pas satisfait de la collectivité et le fait savoir. La relation via les réseaux sociaux s’envenime, publiquement ou via des messages privés. Et il arrive, comme dans le cas évoqué par Reynald, que le « fâcheux » demande à connaître l’identité de son interlocuteur.

Majoritairement, le réflexe des CM interrogés est de ne surtout pas dévoiler qui ils sont. C’est le service communication qui répond, sans aller plus loin. Les cas les plus souvent rencontrés ont abouti à ne plus répondre ou à bloquer l’interlocuteur, ce dernier étant visiblement dans une posture jusqu'au-boutiste et de harcèlement plutôt que dans la recherche d’une vraie solution. Sans compter que certains se cachent sous des pseudonymes.

Comme le précise Franck Confino : « Quel que soit le nom affiché, il faut assumer la fonction de CM qui est celle d’un maillon qui n’est pas omniscient mais essaie de faire du mieux qu’il peut. »

Une autre solution est de renvoyer vers une charte de bonne conduite, à l’instar de ce que propose Étienne Henry à Angers (PDF).

Toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administrative de l'agent(e) chargé(e) d'instruire sa demande

Mais est-ce aussi simple de refuser de révéler son identité ? Les mails et courriers partant de la collectivité sont signés et permettent d’identifier l’agent qui les a rédigés. Pourquoi cela ne s’appliquerait-il pas aux réseaux sociaux, s'interroge Mélanie Gète (CM de Vitry-sur-Seine).

Marie Mulé, de la Métropole de Lyon, nous rappelle que dans les droits et obligations des agents territoriaux, « au nom de la transparence administrative, dans ses relations avec les collectivités territoriales, toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administrative de l'agent(e) chargé(e) d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne (...). Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l'anonymat de l'agent(e) est respecté. Enfin, toute décision prise par les collectivités territoriales comporte, outre la signature de son auteur la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui.celle-ci.
Références : article 27 de la loi du 13 juillet 1983 ; article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ; article 11-2 du Code des relations entre le public et l'administration.
»

Et le clou est enfoncé dans une question à l'Assemblée nationale : « Il ressort de ces dispositions que, sauf pour des raisons de sécurité publique ou de préservation de la sécurité des personnes, le fonctionnaire a l'obligation de décliner son identité à l'administré qui la lui demande. Le refus opposé par l'agent est un manquement à cette obligation que les administrations sont appelées à rappeler en tant que de besoin. Le non-respect de cette obligation pouvant par ailleurs être constitutive d'une faute disciplinaire, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire peut, sur le fondement des articles 26, 27 et 29 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 et de l'article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, infliger une sanction disciplinaire à l'auteur de ces faits. »

Ces lois datant de 1983 et 2000, à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas, peuvent-elle vraiment s’appliquer aux CM ? À notre connaissance il n’existe pas à ce jour de jurisprudence liée aux réseaux sociaux. Mais gare aux procéduriers qui pourraient faire référence à ces textes.

Il est donc primordial de bien définir la promesse qui est faite à l’abonné

Il n’est pas forcément pertinent de comparer une instruction de demande par courrier et mail à des échanges via les réseaux sociaux, qui relèvent davantage de la conversation.

Demande-t-on l’identité d’un graphiste si on n’est pas content de l’affiche ? Mais sur Facebook, Twitter ou Instagram, la communication de fait n’est pas unilatérale. La frontière entre le « social » du réseau, les échanges de personne à personne et les éléments de langage de l’institution est ténue. Nous touchons aux limites de l’investissement personnel du CM sur le compte de sa collectivité.

Avant de s’engager sur les réseaux sociaux, il est donc primordial de bien définir la promesse qui est faite à l’abonné : souhaite-t-on engager un réel dialogue avec lui, ce qui en théorie est l’essence même des réseaux sociaux ? Ou y aborde-t-on la communication de manière plus classique et plus descendante sans forcément avoir envie de se frotter aux opinions des habitants ?

La personnification du compte est un choix, souvent fait par défaut, qui doit nous interroger sur la nature et la portée de notre communication. En tout état de cause, ce choix doit être effectué en accord avec l’agent chargé d’animer les réseaux sociaux. Peut-être enfin, la prise de conscience que le community manager est un rouage essentiel de toute bonne stratégie de communication.

Illustration : Riccardo Fissore pour Unsplash