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L'hospitalité est sans doute l’avenir de l’attractivité

Publié le : 11 décembre 2025 à 07:07
Dernière mise à jour : 11 décembre 2025 à 14:17
Par Marc Thébault

Depuis quelques années, presque tous les territoires lancés dans l’attractivité proposent des services d’accueil. Mais s’ils sont « professionnellement accueillants », sont-ils pour autant « humainement hospitaliers » ? Rapide focus sur ces deux notions qui, si elles sont complémentaires, présentent toutefois de sacrées différences.

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Par Marc Thébault, consultant en attractivité des territoires, ancien responsable de la mission attractivité de Caen-la-Mer.

Loin de moi l’idée de tirer des conclusions trop hâtives et trop généralistes à partir de ma seule expérience personnelle. Pour autant, ayant quitté Paris pour déménager à Saint-Étienne puis à Caen, j’ai pu comparer comment deux territoires, et leurs habitants, se comportent avec de nouveaux venus. Sans surprise pour celles et ceux qui m’ont déjà lu ou entendu, je peux classer, en toute subjectivité, Caen en « accueil » et Saint-Étienne en « hospitalité ». On est propre sur soi, poli et bien élevé d’un côté. De l’autre, on est sans chichis, empathique et soucieux des conditions de votre arrivée. La première invitation caennaise se fait au restaurant, celle des Stéphanois sera à domicile, ce qui faisait dire à un ami de Sainté : « Donc, la maison, c’est seulement pour ceux qui y sont déjà venus ? » Je vous laisse méditer sur la portée de cette phrase.

Par ailleurs, plongé professionnellement dans les démarches d’attractivité, j’ai bien senti le glissement des réflexions des territoires de la promotion vers l’accueil, du souci de se vendre à celui de prendre en compte les attentes et les besoins des nouveaux arrivants. Amiens Métropole est certainement le territoire à avoir le premier créé un service d’accueil et d’accompagnement il y a plusieurs décennies. Il a été suivi depuis par beaucoup d’autres. Et puis, comme dans la Manche notamment, certains services qualifiés « d’accueil » – et pour certains de « conciergeries » (voir Arsène de l’agglomération Seine-Eure par exemple) – sont en train de devenir des services « d’hospitalité ». Je pourrais également, côté tourisme, évoquer les poHtes (points d’hospitalité) de Brive-la-Gaillarde ou la démarche « Marseille hospitalitéS » dont la présentation résume assez bien l’enjeu : « Comment agir pour que chaque personne, étudiante, festivalière, travailleuse, touriste, migrante, saisonnière, réfugiée, apprentie, aidante… se sente désirée, attendue et bienvenue à Marseille ? »

De quoi apporter de l’eau à mon moulin, tourné que je suis vers une approche « sensible » du marketing territorial.

L’hospitalité, un terme qui intègre désormais le lexique de l’attractivité

  • Le site « Paris je te quitte » a interrogé, le 5 novembre 2025, Mathieu Dejouy, délégué général du CNER (fédération des agences d’attractivité, de développement et d’innovation). Ses propos sont assez clairs sur ce sujet :
    « [...] La qualité de vie est devenue un facteur clé dans les projets de mobilité, et les agences d’attractivité l’ont pleinement intégré dans leurs stratégies. Cela suppose de repenser l’attractivité de façon beaucoup plus globale, en intégrant la dimension résidentielle, sociale et culturelle. On parle ici d’hospitalité.
    [...] Cette prise en compte de la qualité de vie est aujourd’hui essentielle dans les stratégies d’attraction de talents. Qu’il s’agisse de cadres en quête de sens, de jeunes diplômés à la recherche d’un meilleur équilibre de vie ou de travailleurs indépendants en quête d’un environnement stimulant, les critères résidentiels sont devenus aussi importants que les critères économiques.
    […] En résumé, les agences ne se contentent plus de “vendre” un territoire : elles créent les conditions concrètes de l’installation, avec une logique d’accompagnement humain et de mise en réseau. Elles assurent la cohérence entre les politiques publiques, les besoins des entreprises et les attentes des nouveaux arrivants. »

  • Olivier Bouba-Olga, chercheur en sciences sociales, directeur du service « études, prospective et évaluations » au conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, affirme de son côté, dans une interview accordée à l’Agence nationale de la cohésion des territoires en octobre 2025 :
    « Dans un contexte de ressources planétaires limitées, il faut arrêter les logiques de concurrence territoriale et passer de l'obsession de l'attractivité à un questionnement fécond : comment assurer le bien-être de tous les habitants dans le respect des limites planétaires, autrement dit comment répondre simultanément et systématiquement aux enjeux environnementaux et sociaux. C'est un changement de paradigme pour les politiques d'accueil. Accueillir, oui, mais en répondant aux besoins fondamentaux de tous (se loger, manger, accéder à la santé, à l'emploi, qualité environnementale…). L'hospitalité, voilà le défi. Il faut intégrer l'habitabilité dans les politiques d'accueil des territoires. »

  • Terminons par un extrait de l’interview accordée au Journal des départements (numéro de septembre 2025, page 70) par Valérie Bauhain. D’origine corse, puis parisienne et désormais toulousaine, elle a mené une carrière de journaliste avant de créer « Ciao Paris », un podcast qui incite à « oser changer de ville et de vie ». Pour elle, l’enjeu de l’hospitalité est une priorité et un changement essentiel à prendre en compte par les chargés d’accueil des territoires :
    « Par les nombreux témoignages recueillis dans mon podcast, je sais que l’accueil sur le territoire est une condition de la réussite de l’implantation. Pour ces nouveaux arrivants pétris de doutes, le lien avec les chargés d’accueil est précieux. Je constate déjà qu’il se prolonge vers un accompagnement sur le long terme. Pour ancrer localement, et faire rester, l’avenir de l’accueil c’est l’hospitalité.
    […] Désormais, l’accompagnement humain est primordial. D’où l’émergence de cette notion d’hospitalité. […] L’hospitalité des chargés d'accueil constitue l'un des pivots essentiels dans la réussite d'une stratégie d'attractivité résidentielle. En tant qu'interface privilégiée avec les nouveaux arrivants, ce nouveau métier contribue significativement à transformer l'intérêt initial en installation durable. »

Accueil, hospitalité, mais de quoi parle-t-on au juste ?

Dans les citations présentées, on peut lire deux aspects de l’hospitalité. D’abord l’aspect holistique, qui pourrait être synonyme de « l’habitabilité d’un territoire ». Il s’agit de considérer l’ensemble des facteurs qui font que l’on peut trouver bien-être et épanouissement sur un territoire. Ensuite, il y a un aspect qui veut transcender l’accueil, pour le sortir des pratiques devenues communes afin de l’amener sur un plan plus humain, pour répondre aux besoins fondamentaux (relire l’interview d’Olivier Bouba-Olga ci-dessus) des nouveaux arrivants. Ces besoins étant bien plus larges que le simple fait de connaître le programme du théâtre municipal ou la liste des clubs sportifs.

Mais il est peut-être temps, pour continuer à alimenter nos réflexions, de revenir à des définitions.

  • Le Larousse définit ainsi l’accueil : « Action et manière d'accueillir, de recevoir quelqu'un, quelque chose. » Le site « La langue française », de son côté, publie cette définition : « Rite ou service dédié à une personne à son arrivée, visant principalement à lui souhaiter la bienvenue et faciliter son intégration ou démarches. »

  • Pour l’hospitalité, voici différentes définitions :
    Pour le Dictionnaire de l’Académie française, c’est « le fait de recevoir chez soi, à sa table et, par extension, grâce, art qu’on met à recevoir des hôtes ».
    Pour le Larousse : « 1. Action de recevoir et d'héberger chez soi gracieusement quelqu'un, par charité, libéralité, amitié : Offrir l'hospitalité à quelqu'un. 2. Générosité, bienveillance, cordialité dans la manière d'accueillir et de traiter ses hôtes : Un peuple connu pour son hospitalité. »

Mais je dois reconnaître que j’ai un faible pour une des définitions du Centre national de ressources textuelles et lexicales : « Générosité de cœur, sociabilité qui dispose à ouvrir sa porte, à accueillir quelqu'un chez soi, étranger ou non. »

Regardons les conséquences professionnelles

Ainsi, émergent de ces définitions quelques différences notoires entre les deux mots. De quoi avoir envie de les mettre en tableau comparatif, histoire de tenter d’éclairer comment, pour les professionnels de l’attractivité, des aspects opérationnels pourraient en être inspirés :

Notez bien : il va sans dire que ce tableau n’a pas l’ambition de forger une théorie universelle. Il est le fruit de ma seule interprétation. Il est donc discutable. Mais je gage qu’il délivre néanmoins quelques pistes de réflexion pour savoir où se situer.

Maintenant, est-il vraiment opérationnel ? Ce qui m’importe ici, n’est pas de hiérarchiser accueil et hospitalité, mais plutôt de noter leur complémentarité. Surtout, d’insister sur le fait que tendre vers l’hospitalité est peut-être le seul moyen de se différencier totalement des autres territoires.

L’hospitalité se niche dans cette volonté d’aller au-delà du simple accueil, au-delà des questions pratico-pratiques. Il est question désormais aussi d’accompagnement humain et social, et ce de manière durable.

Comme indiqué dans la rubrique « Remarques » du tableau, le fait de mettre en place un service d’accueil est donné à tout le monde. C’est un « truc » professionnel, largement partagé et qui, de territoires en territoires, repose à peu près sur les mêmes contenus. L’exception serait presque aujourd’hui de se lancer dans une stratégie d’attractivité sans un service d’accueil. Rien de différenciant donc, sauf peut-être l’état d’esprit qui sous-tend l’ensemble. Et c’est là, de mon point de vue, que se niche l’hospitalité, dans cette volonté d’aller au-delà du simple accueil, au-delà de la distribution de brochures, d’entrées gratuites ou de listing d’agences immobilières. Il est question désormais aussi d’accompagnement humain et social, et ce de manière durable.

Comme le note Valérie Bauhain dans l’interview déjà citée : « Au-delà des visites patrimoniales, leur accompagnement (celui des chargés d’accueil – ndlr) accueille les questions, les angoisses, même les plus irrationnelles. […] Et après leur arrivée effective, s’ouvre une première année parfois chaotique. Presque toutes les personnes que j’ai interrogées dans mon podcast confirment qu’il faut environ trois ans pour se sentir “installé”... »

Pour conclure, je notais, toujours dans la rubrique « Remarques » du tableau ci-dessus, que tous les territoires n’étaient pas égaux face à cette « hospitalité ». En effet, certains passent pour être plutôt « fermés » et peu enclins à délivrer rapidement leur confiance à de nouveaux venus. Vous connaissez cette phrase : « Ici, on n’est pas comme ailleurs ! On n’accorde pas tout de suite notre confiance. Mais quand elle est donnée, c’est pour toujours. » Détail : il n’est pas précisé que le temps d’accorder cette fameuse confiance se compte en années ! De quoi décourager celles et ceux qui aiment les contacts spontanés, même s’ils sont un rien superficiels. Et d’autres territoires ont, a contrario, une image « naturelle » d’ouverture, d’empathie, de chaleur humaine, de culture et de valeurs collectives tournées vers le souci de l’autre et l’envie de bien faire pour qu’il se sente vite chez lui et à sa place.

Ainsi, ces territoires à image « positive » ont donc tout intérêt à jouer cette carte fondée sur leur identité profonde. Mais pour les autres, le combat n’est pas perdu. Il s’agit pour eux de faire en sorte que leur service d’accueil, et les chargés d’accueil qui y agissent, élargissent leur champ d’action et acceptent de prendre en compte des aspects humains, sociaux, relationnels, et pas uniquement des questions pratico-pratiques. Le tout, sur un temps long. Il s’agit de colorer les services d’accueil par un état d’esprit vraiment tourné vers l’initiation au territoire (dont les rituels sociaux) et le désir d’être présent pour faciliter, le temps qu’il faudra, l’intégration humaine, puis l’attachement. L’hospitalité, c’est plus qu’un service professionnel, c’est un geste, une valeur et, pour reprendre des définitions citées plus haut, une « générosité de cœur », « une grâce, un art qu’on met à recevoir des hôtes ».

Et, pour là encore me fonder sur les témoignages recueillis par Valérie Bauhain, l’hospitalité est un investissement avec possible effet de réciprocité. En effet, chez les nouveaux venus, nombreux sont celles et ceux qui se disent disposés à rendre au territoire ce qui leur a été donné. Même si l’hospitalité ne doit pas être motivée uniquement par l’attente d’un retour, sachez que cette cerise sur le gâteau peut se faire jour.

Illustration : photo d'Helena Lopes sur Unsplash.

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