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Pour ne pas devenir des empêcheurs de communiquer

Publié le : 25 novembre 2025 à 07:07
Dernière mise à jour : 27 novembre 2025 à 13:30
Par Marc Cervennansky

Nous étions à la table du déjeuner, juste avant la conférence sur l’IA que j’allais co-animer, au Forum Cap’Com d’Angers. Une dircom me confiait son inquiétude face à un phénomène montant : des services s'approprient l’IA générative pour produire leurs supports de communication en toute autonomie, ne sollicitant le service com que pour la simple diffusion. Armés de ces outils faciles à prendre en main, ils s’affranchissent des contraintes de la communication, perçue comme un simple « flic » chargé de les contrôler et de les censurer.

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Par Marc Cervennansky, responsable du centre web et réseaux sociaux de Bordeaux Métropole.

L'illusion de la compétence, amplifiée par l’IA

Avouons-le : pour nombre de services au sein de nos collectivités, la communication est souvent perçue comme un « empêcheur de communiquer », un censeur qui freine la valorisation de leurs actions.

Le phénomène n'est pas nouveau. Nous l'avons connu avec la vidéo, puis les réseaux sociaux, où chacun bricole ses films ou publie sa page Facebook dans son coin. Mais l'IA générative repousse encore les limites : il est désormais très facile de concevoir et produire n'importe quel contenu en quelques minutes, que l'on soit professionnel de la communication ou pas.

L'IA transforme instantanément des prompts en vidéos complètes ou en visuels élaborés. Des solutions comme Canva se muent en véritables plateformes créatives.

Le piège de l'accessibilité technologique

Les outils sont si rapides, le contenu produit si « professionnel » en apparence, que les utilisateurs non experts sont persuadés de leur maîtrise. Ils confondent l'aisance à utiliser l'outil avec la maîtrise de la communication elle-même.

C'est le phénomène de l'illusion de la compétence, étudié par Dunning et Kruger : ce qui manque aux incompétents pour progresser, c'est la capacité à distinguer compétence et incompétence. L'IA générative, en livrant des résultats rapides et convaincants à partir de simples requêtes en langage naturel, amplifie cette illusion.

Rappeler ce qui fait notre métier

Comment éviter que le service communication soit réduit à un rôle de contrôleur ? En réaffirmant ce qui fait le cœur de notre métier.

La communication publique n'est pas un simple passage de relais pour diffuser la production des services. Vous le savez mieux que moi, elle exige une stratégie : le plan d'ensemble à long terme, la boussole qui définit les objectifs au service de l'action publique. L'IA n'a ni conscience, ni sens moral, ni capacité à se situer dans un contexte local précis. Elle tend même à reproduire des modèles existants, risquant la standardisation créative.

La stratégie de communication requiert le sens et les repères de l'action publique, l'intuition, la pensée divergente et la sensibilité au contexte – compétences découlant de l'expérience humaine, inaccessibles aux algorithmes. Elle exige aussi la vérification des informations, le contrôle qualité et la cohérence globale… Bref tout ce que ne fait pas un service tout content d’avoir sorti sa plaquette en trois minutes grâce à ChatGPT.

Notre responsabilité : être pédagogue, pas censeur

Face à cette illusion de compétence amplifiée par l'IA, nous avons une responsabilité : faire preuve de pédagogie auprès des élus et des services pour expliquer le sens et le rôle de la communication publique.

Il ne s'agit pas de défendre un pré carré corporatiste, mais de rappeler que la communication publique porte des enjeux démocratiques. Elle construit le lien entre l'institution et les citoyens, elle rend compte de l'action publique, elle garantit la cohérence et la clarté du message politique. Cette mission ne peut se résumer à la maîtrise d'un outil, aussi performant soit-il.

Si vous ne l’avez pas encore fait, il est temps d’acculturer, expliquer, accompagner. Montrer concrètement ce que signifie penser stratégie et ligne éditoriale, messages, cibles, temporalité. Démontrer pourquoi un visuel esthétique n'est pas nécessairement un visuel efficace, pourquoi un texte bien écrit par l'IA peut desservir l'objectif politique.

Se former aussi

Face à ma collègue dircom qui peinait à finir son dessert, désemparée par cette avalanche de contenus IA pondus par des services persuadés de leur talent, je lui ai soufflé une solution toute simple : se former elle-même à l'IA générative.

Pour développer son œil critique et pouvoir juger objectivement ces productions qu'on lui impose. Mais aussi pour apprendre à manier ces outils à bon escient. Le tout en s'appuyant, bien sûr, sur les précieux conseils de la boussole de l'IA pour le communicant public.

Illustration : Spencer H sur Unsplash, retouchée avec IA (remplacement du terme « police » par « communication »).

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