Quand la parole publique se tait, le bruit gagne
Mi-octobre, le Service d’information du gouvernement diffusait une circulaire imposant aux ministères et aux administrations de l’État une réduction de 20 % de leurs dépenses de communication. Pour les communicants de la fonction publique, le message a fait l’effet d’un rappel brutal : la communication publique reste trop souvent traitée comme une simple variable d’ajustement budgétaire. Dans une seconde annonce, ce 30 novembre, Matignon accentue cette inquiétude.
Par Caroline Grand, directrice de la communication de La Rochelle Université, membre du Comité de pilotage de Cap'Com.
Dans un communiqué de presse, le cabinet du Premier ministre évoque cette fois un effort porté à 40 % pour « les opérateurs de l’État », contre 20 % pour les ministères.
Si le texte ne distingue pas les universités du reste des opérateurs cités et ne les vise pas explicitement, il ne les exclut pas non plus. Or les universités, dont l’autonomie est inscrite dans le Code de l’éducation et renforcée par la loi de 2007, ne sont pas des opérateurs comme les autres. Leur statut particulier rend l’applicabilité d’une telle consigne incertaine et nécessite une clarification du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Espace. D’autres établissements publics d’enseignement, relevant d’autres ministères celui de la Culture par exemple, ont reçu des instructions immédiates pour suspendre des actions de communication. Le risque existe donc bel et bien pour les universités, même si sa portée exacte reste à confirmer.
La communication universitaire n’a rien de cosmétique : c’est un rempart contre le faux, le flou et le marchand.
Pour mesurer l’enjeu, il faut rappeler ce que représente la communication universitaire. Les universités ne sont ni des marques ni des annonceurs. Elles constituent un service public de la connaissance, un repère pour les jeunes et leurs familles dans un paysage informationnel saturé. Les pratiques sponsorisées, les stratégies d’influence et le marketing éducatif du privé lucratif y occupent déjà massivement le terrain. Certaines formations privées ont d’ailleurs été retirées de Parcoursup pour pratiques trompeuses. Dans ce contexte, la communication universitaire n’a rien de cosmétique : c’est un rempart contre le faux, le flou et le marchand.
Cette éventuelle réduction interviendrait alors que la défiance envers les institutions progresse et que la désinformation circule massivement. Affaiblir la parole publique, c’est fragiliser le débat démocratique. La communication publique rend l’action intelligible, apaise les tensions et maintient un lien de confiance déjà fragile. En période de crise, elle devient essentielle : lorsque la parole institutionnelle se retire, d’autres discours s’installent.
À l’université, la communication irrigue des fonctions décisives : accueil, orientation, réussite étudiante, valorisation de la recherche, diffusion de la culture scientifique, innovation, lien aux territoires. Réduire ces moyens ne revient pas à rogner un budget accessoire : c’est limiter la capacité même du service public à informer, accompagner, expliquer.
Cette fragilisation aurait également un impact économique et territorial tangible. Les universités génèrent des retombées documentées pour leurs territoires : près de 492 millions d’euros d’impact annuel pour CY Cergy Paris Université, environ 720 millions d’euros pour l’université de Poitiers, et des effets structurels sur l’emploi et l’innovation régulièrement soulignés par l’OCDE et par l’Institut Mines-Télécom. Réduire leur visibilité publique, c’est affaiblir leur capacité à attirer étudiants, projets, partenariats et financements, autant de leviers économiques dont dépendent directement les territoires.
Dans un monde saturé de bruit, le silence du service public n’existe pas : il est immédiatement occupé par ceux qui disposent des budgets et des logiques marchandes pour se faire entendre.
Cette tension rejoint ce que le dernier Forum Cap’Com a mis au centre des échanges : la question du récit. Le récit public n’est pas un vernis ; c’est ce qui permet à une communauté de comprendre où elle va. Il est illusoire de demander aux institutions de produire un récit clair et fédérateur tout en réduisant les moyens nécessaires pour le formuler et le transmettre.
Dans un monde saturé de bruit, le silence du service public n’existe pas : il est immédiatement occupé par ceux qui disposent des budgets et des logiques marchandes pour se faire entendre. Lorsque la parole universitaire s’affaiblit, ce n’est pas un service interne qui se réduit : c’est un pilier démocratique qui vacille.
Une société qui demande à ses universités de préparer les jeunes à déjouer la manipulation et la désinformation ne peut pas, simultanément, leur demander de parler moins. La voix publique n’est pas un coût : c’est une boussole.
Et une boussole ne se coupe pas de 40 % sans perdre le nord... même si, pour les universités, la menace reste à préciser.
Sources
- Code de l’éducation (articles L. 711-1 à L. 719-6). Dispositions relatives au statut des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), issues de la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984.
- Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU).
- Loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.
- Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (2024). Lutte contre les fraudes dans l’enseignement supérieur privé lucratif.
- Service d’information du gouvernement (2025). Moratoire applicable aux dépenses de communication 2025. Note d’application. Document interne transmis aux ministères.
- Matignon – cabinet du Premier ministre (2025). Communiqué de presse : « Refonte de la stratégie et des moyens de la communication de l’État ». 30 novembre 2025.
- Canévet & associés (2025). Universités et communication : ce que change le communiqué du Premier ministre sur les budgets 2026.
- Association Communication publique (2025). Tribune sur les annonces gouvernementales relatives aux dépenses de communication publique.
- Arces – Association des responsables de communication de l’enseignement supérieur (2025). Position relative aux restrictions budgétaires sur la communication des établissements.
- Dernières Nouvelles d’Alsace (2025). « Pourquoi les universités sont un moteur économique pour les territoires ».