Réseaux sociaux et élections : la délicate gestion des commentaires
Comment gérer les commentaires sur les réseaux sociaux en période électorale ? La question fait à nouveau débat parmi les communicants du réseau alors que nombre de collectivités affichent leur position – parfois inédite, comme en coupant les commentaires – sur leurs comptes réseaux sociaux depuis le 1er septembre.
La question n’est pas nouvelle pour les communicants, qui sont d’ailleurs confrontés régulièrement à la gestion de commentaires problématiques hors période électorale. Mais elle se pose de manière plus marquée que lors des précédents scrutins. Si la place des réseaux sociaux dans le débat public était déjà importante, elle n’a cessé de croître en parallèle d’une présence et d’une agilité socialmédia des collectivités… et des élus, en augmentation. Les community managers gèrent des commentaires de plus en plus nombreux et virulents, et doivent désormais composer avec le risque accru de manipulation non seulement humaine mais aussi artificielle de l’information. Bref le risque est plus fort de se retrouver avec des messages de haine, ou à l’inverse d’amour pour la collectivité, les uns pouvant d’ailleurs entraîner les autres, avec, à la clé, la probabilité d’un recours pour valorisation de l’équipe municipale sortante avec les moyens de communication de la collectivité.
La responsabilité du directeur de publication hors et pendant la période électorale
Hors période électorale, les pages des collectivités sur les réseaux sociaux et les commentaires qui s’y trouvent sont diffusés sous la responsabilité du directeur de publication et soumis à la loi. La responsabilité pénale du directeur de publication peut être engagée si un commentaire incitant à provoquer un crime ou un délit (incitation à commettre un meurtre ou un vol) ; incitant à la haine, à la violence ou à la discrimination ; injurieux ou diffamatoire, n’est pas retiré. Mais cela n’inclut pas les contenus laudateurs qui encenseraient la gestion ou les réalisations de l’équipe sortante sur une page officielle de la collectivité.
En période électorale, la responsabilité pénale du directeur de la publication est la même que hors période électorale. Mais la question se pose pour les contenus laudateurs. L'article L. 52-1 prohibe toute campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité dans les six mois précédant les élections, y compris dans les commentaires d’une page officielle de la collectivité. La Jurisprudence a ainsi déjà retoqué un commentaire qui comportait une liste de personnalités présentées comme ayant apporté leur soutien à la liste du maire candidat, assortie de commentaires favorables à celui-ci et à sa liste.
Les commentaires, comme le reste des contenus sur les réseaux, n’échappent effectivement pas à la règle de l’article L. 52-1. Mais ce qui sort du cadre, c’est la spécificité des médias sociaux : un espace public numérique ouvert aux échanges spontanés. L’horizontalité des commentaires sur les sites officiels des services publics – et même sur ceux des acteurs privés – s’est imposée dans les usages et a ouvert un nouveau mode de dialogue, souvent direct, généralement autogéré, sans filtres, et reflétant une forme de sincérité, d'authenticité. À l'heure où nous cherchons justement à garder un lien vivant et à intéresser tous les habitants (et pas seulement les habitués des réunions publiques), la résolution de ce casse-tête en période électorale mobilise les communicants, le cabinet, la direction juridique et la direction générale des collectivités.
Les élus doivent s’abstenir de commenter sur les réseaux sociaux des collectivités
« Les élus ne doivent pas commenter ou partager ou réagir sur les posts institutionnels de leur collectivité. La vocation de ces réseaux sociaux institutionnels (depuis l’avis du Conseil d’État du 26 mars 2025) est de s’adresser aux administrés du service public administratif de la communication institutionnelle. Dès lors les commentaires sont réservés à l’expression des administrés », précise Rolande Placidi, avocate au barreau de Strasbourg, ancienne directrice de cabinet en collectivité, et formatrice pour le réseau Cap'Com.
« En période électorale, la reprise, le partage de post des réseaux sociaux institutionnels par des élus candidats (photographies, contenu) pourraient être qualifiés de “dons d’une personne morale à un candidat”. Attention, en effet, la reprise de photographies appartenant à la ville depuis les réseaux sociaux institutionnels par un candidat pourrait être assimilée à l’utilisation de photographies de la photothèque, utilisation sanctionnée par le juge de l’élection (CE, 9 janvier 1997, élections municipales de Caluire-et-Cuire, n° 176796).
D’ailleurs, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements (CNCCFP), dans son guide du mandataire financier, précise : “Si le candidat s’est procuré des photographies auprès d’autres tiers, plusieurs cas de figure sont à envisager :
a) si le candidat utilise des documents cédés à titre onéreux, la dépense doit être inscrite au compte et la facture justifiant notamment de la cession des droits doit être produite ;
b) si le candidat utilise des documents mis à disposition gratuitement par une personne morale, cette prestation sera assimilée à un concours en nature d'une personne morale, prohibé par l'article L. 52-8 du Code électoral, et sera susceptible d'entraîner le rejet du compte ou, à tout le moins, la réduction du remboursement forfaitaire de l’État.” »
Le candidat qui utilise pour sa campagne électorale des photographies partagées sur les réseaux sociaux doit être en mesure de justifier du droit de les reproduire si leur utilisation venait à être contestée.
Nul doute que la question de la création et de l’utilisation des réseaux sociaux institutionnels par les élus devra faire l’objet d’une attention particulière lors de la rédaction du prochain règlement intérieur du conseil municipal.
Une résolution radicale…
Pour reprendre le titre des bien nommées Rencontres de la communication numérique 2025 : c’est comme faire entrer un rond dans un carré. Certaines collectivités ont donc choisi d’ajuster la forme de leurs réseaux sociaux au contexte électoral, suivant radicalement ce que conseille l’Association des maires de France (AMF) dans une note : « En tout état de cause, à compter du 1er septembre 2025, il est fortement conseillé de transformer les comptes des communes et EPCI en de simples vitrines. »
Ainsi, depuis le 1er septembre, les annonces de fermeture temporaire des commentaires jusqu’aux élections municipales se succèdent sur les comptes réseaux sociaux des villes, grandes (Lyon, Nice, Montpellier, Besançon, Dunkerque, Perpignan…) comme petites (Chabeuil, 6 800 habitants, ou Ghyvelde-Les Moëres, 4 076 habitants, par exemple), sous la forme le plus souvent du message type :
Dans le sillage d’un écosystème favorisant la propagation des fausses informations et des faux profils, parfois doublé d’un contexte politique local tendu, et, dans les plus petites collectivités, d’un manque de moyens humains, voire de formation face aux risques de manipulation, pour une modération temporairement renforcée, ces collectivités adoptent donc ce principe de précaution inédit.
Il s’applique aux critiques comme aux soutiens, afin d’éviter que les usagers, qu’ils soient réels ou virtuels, ne partagent volontairement ou non des propos susceptibles d’être interprétés comme une promotion interdite par le Code électoral. À noter que l'on parle de paramétrages publication par publication en limitant qui peut commenter le post.
Mais il se heurte à la question, vite soulevée par les oppositions, du respect de la liberté d’expression des citoyens, avec le risque d’un (autre) contentieux. Voilà donc le communicant amputé d’une partie, aussi stressante que passionnante, de sa mission : l’échange avec les usagers. « Ça va tellement à l’encontre des usages que c’est inédit et assez difficile pour les équipes », nous confie une dircom.
« Notre souci d’entretenir le débat citoyen, de favoriser l’expression de tous et même, dans une certaine mesure, les échanges contradictoires qui traduisent la bonne santé du dialogue public, citoyen et démocratique, ne doit pas nous amener à perdre de vue la nature des médias dont nous parlons ici : les pages des collectivités sur les réseaux sociaux et les commentaires qui s’y trouvent sont diffusés sous la responsabilité du directeur de publication », rappelle Yves Charmont, le délégué général de Cap’Com.
« Nous sommes soumis à la loi sur la presse de 1881 et rien ne nous en exonère. Pour que les commentaires sur les pages des collectivités sur les réseaux sociaux soient libres et que, même en cette période, on puisse y faire vivre un débat citoyen, il faudrait de nouvelles lois. Par exemple, il faudrait que les zones de commentaires sur les réseaux sociaux ne soient plus considérées comme liées à des organes de presse, mais comme des espaces d’expression libre, comme les affichages libres dans nos rues, installés et entretenus par les collectivités. Mais il faudrait également que la loi puisse rendre pénalement responsable chaque citoyen auteur d’un de ces commentaires, comme elle prévoit une responsabilité pour chaque affiche avec l’obligation de porter mention du RCS de l’imprimeur. » Ce n’est donc pas gagné.
... ou modérée…
D’autres collectivités ont choisi la voie modérée mais renforcée. Elles se sont dotées début septembre d’une charte de modération en période de réserve électorale, avec là aussi un texte type portant sur les contenus, la modération des commentaires, et rappelant la base légale.
Pour peu qu'elle en ait les moyens, la collectivité peut donc envisager de maintenir les commentaires en assurant une surveillance renforcée durant les six mois. Le Conseil d’État et la Cnil considèrent que les collectivités peuvent fixer des règles de modération, qui doivent être claires, transparentes et non discriminatoires. La règle doit s’appliquer uniformément sur tous les réseaux de la collectivité. La collectivité peut informer les usagers que tout contenu à caractère politique/électoral est interdit et sera supprimé. La modération active et neutre visera à supprimer tout contenu à caractère électoral ou partisan (messages de propagande électorale, appels à voter pour/contre un candidat, critiques ou éloges à caractère partisan). Dans la mesure du possible, la collectivité aura intérêt à conserver une traçabilité (captures d’écran ou exports des commentaires supprimés) en cas de contestation.
Pour les communicants, cela signifie donc une vigilance quotidienne renforcée sur chaque réseau social utilisé, comme le préconisaient déjà les communicants numériques du réseau réunis autour de la question avant les élections locales de 2020. Ils avaient alors identifié quelques bonnes pratiques qui devraient à nouveau être utiles à leurs pairs les prochains mois.
7 conseils pour gérer les commentaires en période préélectorale
- Garder des traces écrites de ses échanges (y compris avec les élus).
- Utiliser les filtres à injures, définis sur « fort », dans les paramètres de sa page Facebook.
- Saisir des mots-clés proscrits dans les commentaires, dans le menu modération des paramètres de sa page Facebook.
- Publier une charte sur la page Facebook, stipulant que tout propos à caractère politique est proscrit. Y faire référence le cas échéant.
- Si un commentaire doit être supprimé, en faire une copie d’écran avec l’affichage de sa date. Alerter son auteur puis supprimer le commentaire. Refaire une copie d’écran de la publication avec le commentaire supprimé. Garder dans un dossier ces fichiers.
- Créer un groupe sur une application de messagerie mobile (WhatsApp, Signal, Telegram ou Tchap – la nouvelle appli française commandée par l'État) pour que les décideurs puissent rapidement valider un choix de modération.
- Masquer (sans les supprimer) les vidéos qui mettent en valeur les élus, en leur attribuant le statut « expiré ».
Les derniers jours avant le scrutin, les collectivités peuvent envisager de désactiver temporairement les commentaires pour être en conformité avec l’article L. 48-2 du Code électoral, « interdisant à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ».