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La confiance, en veux-tu, la défiance, en voilà

Publié le : 2 février 2021 à 07:07
Dernière mise à jour : 12 février 2021 à 15:22
Par Alain Doudiès

Signe des temps : dans la précédente newsletter, deux des trois chroniques abordaient, sous un angle différent, un même sujet. Marc Cervennansky nous disait « Défions la défiance ». Cécile Staroz appelait de ses vœux un « contrat de confiance » avec les citoyens. Si j’avais pu livrer à temps le papier que voici, j’aurais, sans concertation aucune, apporté mon eau au même moulin.

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Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.

Que nous disait un autre voisin de rubrique, Marc Thébault, dans son article du 23 novembre ? « Depuis très longtemps les communicantes et les communicants du secteur public annoncent travailler pour (…) retisser de la confiance dans la politique, au moins la locale, et avec les politiques. » Coïncidence ? Lors du récent Comité de pilotage de Cap’Com, premier échange pour identifier les sujets du prochain Forum. Parmi ceux les plus cités : la confiance. Voilà qui traduit un phénomène massif.

Ne prétendons pas produire une thèse en deux heures et deux feuillets. Mais poursuivons l’examen de la problématique, avec un aperçu sur les différentes manifestations de cette déferlante et, pour ne pas y être noyés, une approche de quelques pistes.

Fil rouge de multiples débats

Panorama à coup sûr partiel des multiples manifestations de la confiance… et de la défiance. Éric Piolle, le maire de Grenoble, demande, à propos de la réflexion en cours sur la police, « un Beauvau de la confiance ». Comment s’appelle la démarche du Monde pour renforcer la proximité avec les lecteurs ? Projet Trust. Que dit Liebig  aux amateurs de soupe ? « Découvrez le goût de la confiance. » Peut-être est-ce la réponse à l’étude internationale de Kantar sur trente marchés qui conduit à cette préconisation : « En 2021, les marques doivent prévoir comment aligner au mieux les messages des campagnes pour signaler la confiance et l’intégrité, tout en communiquant les valeurs de la marque et en créant un capital à long terme. » Il en est de même dans le domaine du management : « Place à la culture de la confiance ! » s’exclame un article de La Gazette des communes, appuyé sur les propos de DRH, avec ce commentaire : « Le management par la confiance est un défi culturel pour les managers, comme pour les agents. »

Sombre tableau : lorsqu’en avril 2020, au début de la crise sanitaire, on demandait aux Français « Parmi les qualificatifs suivants, quels sont ceux qui caractérisent le mieux votre état d’esprit actuel ? », la défiance (32 %) arrivait en tête, suivie de la morosité (28 %) et de la lassitude (28 %). Sauf à garder nos œillères, impossible de ne pas considérer, fût-ce avec recul, cet état de l’opinion (1).

La question de la confiance est le fil rouge de multiples débats, très présents dans l’espace politique et médiatique de l’hypercrise : confiance dans la science, les chercheurs, les vaccins, les grands laboratoires, et, bien sûr, le gouvernement et le président de la République. L’immunologue Françoise Salvadori considère que le scepticisme ambiant traduit une crise politique : « Le problème de fond est la perte de confiance des citoyens vis-à-vis des scientifiques, des autorités sanitaires. Et des autorités en général (2). » L’analyse de la sociologue Eva Illouz nous alarme : « Croire en la science ou pas est devenu une question éminemment politique, sans doute celle qui va décider de l’avenir du monde (3). » De même, Antoine Bristielle, chercheur à Sciences Po Grenoble, propose ce décryptage : « Fortement défiants envers les institutions politiques et médiatiques, ayant un fort attrait pour les théories populistes et complotistes, les antimasques nous montrent les faiblesses de nos démocraties contemporaines (4). » La philosophe Barbara Stiegler est encore plus décapante : « Nous avons un horizon, un cap qui est de plus en plus sombre, avec une crise écologique dont on sait maintenant que c’est une crise sanitaire, sociale, économique, financière. Toutes ces crises s’amoncellent, les populations, les citoyens ne font plus confiance aux dirigeants et aux experts, à juste titre. Parce qu’ils voient bien qu’il y a un problème. La confiance qu’ils faisaient avant spontanément n’est plus là. Le discours dominant devient : puisque ces populations sont défiantes, il va falloir absolument limiter la démocratie pour gérer les crises (5). » (Voir aussi la page de com de la quinzaine)

Des îles de (relative) confiance

Nous pensons illico aux trumperies du golfeur de Mar-a-Lago, qui ont activement miné la confiance dans les institutions américaines. Voyons plutôt ce qui se passe dans notre univers professionnel, notamment pour trouver quelques îles de (relative) confiance dans un océan de défiance.

Du côté des médias, ce n’est pas flambant, mais ça va un peu mieux. La crédibilité des médias s’est renforcée (6) : « Les choses se sont passées comme la radio les raconte (52 %, + 2 % par rapport à 2019), le journal les raconte (48 %, + 2 %), la télévision les raconte (42 %, + 2 %), internet les raconte (28 %, + 5 %). » Le crédit accordé aux administrations progresse : 72 % des Français – trois points de plus qu’en 2019 – indiquent avoir confiance dans les conseils apportés par les services publics en cas de difficultés ou erreurs commises de bonne foi (7). Voilà qui confirme la perception des institutions de proximité : 79 % des Français (9 % « tout à fait » et 70 % « plutôt ») considèrent que les collectivités locales fournissent des prestations et services de qualité à leurs administrés (8). Nous savons aussi, mais c’est bon à rappeler, que la confiance dans les élus locaux est beaucoup plus forte que celle dans les autres personnalités politiques : 63 % (13 % des personnes interrogées ont « très confiance » et 50 % « plutôt confiance ») dans les maires contre 38 % dans les députés (1).

Alors, la quête et la reconquête de la confiance, une question clairement, gravement politique ? Oui. Toutefois, nous ne pouvons pas fuir cette réalité sous prétexte que c’est l’affaire des élus. Ça nous concerne. Donc, avec, comme baume au cœur, les résultats encourageants du Baromètre 2020 Epiceum-Harris Interactive de la communication locale (9), voyons ce qui relève de nos responsabilités et de nos compétences.

Des pistes à prolonger

Examinons nos possibles contributions pour susciter, réveiller et entretenir la confiance… et lutter contre la défiance. Comme le dit Marc Cervennansky, « ce n’est pas la communication qui va rétablir la confiance de nos concitoyens. C’est la manière dont nous la gérons ».

Esquisses de quelques pistes, à prolonger, discuter, compléter (contributions bienvenues).

  • Quand il est effectif… et peu ou prou efficace, exerçons notre rôle de conseil auprès des élus. Nous avons la capacité de démontrer combien sont négatifs, voire désastreux, les « effets d’annonce » sans suites, les décisions en contradiction avec les kyrielles de promesses des programmes électoraux, les hyperboles de toutes sortes.
  • Lorsqu’une difficulté freine ou bloque un projet, disons-le, qu’elle soit financière, technique et même politique. Le silence ou le déni favorisent l’épidémie des rumeurs… négatives.
  • Soyons d’une rigueur sans faille dans les informations que nous diffusons. Les chiffres arrangés, les images enjolivées, les qualificatifs triomphants, au panier ! Une petite citation pour cette route : « Je me suis gardée de faire de la vérité une idole, préférant lui laisser son nom plus humble d’exactitude. » (Marguerite Yourcenar)
  • Rythmons la communication pour donner place à des temps où la collectivité rend compte, par la voix des élus : « Voilà où nous en sommes. » Comme le résume un des nouveaux maires, « tenir ses promesses, c’est vital. Et si on n’y arrive pas, on explique pourquoi ».
  • Gardons le cap d’une communication non pas d’injonction mais d’incitation, non pas en surplomb mais de plain-pied. « L’acceptabilité ne s’impose pas. Elle se négocie et se coproduit. C’est l’éthique de la démocratie qui l’exige et cela devrait être celle de la communication si celle-ci était enfin prise au sérieux (10). »
  • Donnons à la communication une belle et exaltante ambition, en passant le souhaitable au crible du possible. Modestement, résolument.

(1) Baromètre de la confiance politique Opinionway-Sciences Po (CEVIPOF) – Sowell, avril 2020.
(2) Télérama, 13/01/21.
(3) Le Monde, 07/01/21.
(4) Parole publique, novembre 2020.
(5) France Culture, https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/comment-se…
(6) Baromètre 2021 La Croix-Kantar Public, « La confiance des Français dans les médias ».
(7) Baromètre Harris Interactive pour la DITP (Direction interministérielle de la transformation publique), 2020.
(8) Étude Ipsos pour l’Association des administrateurs territoriaux de France, septembre 2020.
(9) https://www.cap-com.org/le-barometre-de-la-communication-locale
(10) « Il faut révolutionner la communication publique », Arnaud Benedetti, professeur à l’université Sorbonne-Paris IV, Arnaud Dupui-Caseres, directeur général de Vae-Solis Communications, et Jacky Isabello, fondateur de l’agence Coriolink, Le JDD, 21/11/20.