
Son assistant, c’est une intelligence artificielle !
C’est dans la Belle Province, sur la rive sud du Saint-Laurent, que Kim Bergeron, conseillère en communications et affaires publiques à la Municipalité régionale de comté (communauté de communes) de La Matanie, travaille ses prompts pour l’aider dans ses missions. Elle ne se laisse dépasser ni par la rude nature de la Gaspésie, ni par ChatGPT, car elle a appris à les dompter !
Point commun : Est-ce que vous pourriez me décrire, en quelques mots, La Matanie ?
Kim Bergeron : Sur près de 3 400 km2, pour 21 334 habitants en 2023, le territoire de la Municipalité régionale de comté (MRC) (communauté de communes) se situe au Québec, près des abords de l'estuaire du fleuve Saint-Laurent. Matane, la ville centre, avec 14 316 habitants, est entourée de plusieurs autres municipalités. On est en bordure de mer. La MRC administre également un très grand territoire non organisé, comme on l’appelle, qu'on gère comme si c'était une municipalité, mais sans conseil municipal. C'est là que nous avons une réserve faunique, entre autres. C'est très très vaste, avec des montagnes, des forêts, des orignaux… donc il y a de la chasse, de la pêche, et également de l'exploitation forestière.
Mais la plupart des municipalités sont en bordure de mer, sinon en bordure de rivière, parce qu'on est au confluent de la rivière Matane et du fleuve Saint-Laurent.
Point commun : Combien d’agents travaillent à la MRC ?
Kim Bergeron : La MRC emploie une quarantaine de personnes. Il y a des agents au développement territorial, mais on s'occupe aussi de l'environnement, de la foresterie, de la gestion des matières résiduelles, et on a un service de sécurité incendie : 4-5 pompiers à temps plein, et une cinquantaine de pompiers à temps partiel. Et on a des inspecteurs municipaux, des urbanistes, etc.
Point commun : Concernant la fonction communication au sein de cette MRC, combien êtes-vous, quels sont vos outils de communication, quelles sont vos missions ?
Kim Bergeron : Je suis la seule personne conseillère en communication à la MRC de La Matanie, et c'est le cas dans plusieurs MRC, comme j'ai pu le constater au colloque de l’Association des communicateurs du Québec. Par contre, dans ma MRC, il y a plusieurs personnes, notamment au développement territorial, qui ont des compétences en communication, et mènent des actions de communication. Mon rôle, c'est de les accompagner, de m'assurer qu'ils ont tous les outils pour bien fonctionner dans leurs projets de communication, de promotion ou pour les événements. J'approuve les projets, les graphismes, donc je suis le dernier regard, parfois le premier regard aussi, parce que je les accompagne quand ils font leur plan de communication. J'essaie de les outiller le plus possible.
Plusieurs personnes ont des compétences et font des actions de communication. Mon rôle, c'est de les accompagner.
La plupart d’entre eux ont ces compétences-là et je les accompagne. D'autres ont besoin d'un peu plus de coordination. Je m'occupe aussi de mon propre plan de communication pour la MRC de La Matanie. Par exemple, je vais aller faire de petites chroniques à la radio pour expliquer certains corps de métier, démystifier certaines choses pour que les gens comprennent bien les missions de la MRC.
Point commun : Comment avez-vous appréhendé les nouvelles fonctions, les nouveaux services que pouvait apporter l'IA dans votre travail ?
Kim Bergeron : À la base, quand ce genre de nouvel outil sort, on fait des tests, on s'amuse, puis on comprend vite de quelle façon cela peut devenir un outil au niveau professionnel. Pour ma part, c'est surtout au niveau de la rédaction (j'ai fait des tests avec l'IA pour les images mais il y a des imperfections qui font qu'on décèle rapidement que c'est artificiel). Au niveau du texte, je trouve que c'est un outil qui m'accompagne bien. Par exemple : je produis des résumés de séances du conseil destinés aux conseillers municipaux pour m'assurer qu'ils ont accès à toute l'information. On sait qu'ils ne vont pas lire les procès-verbaux dans leur entièreté. Donc, on fait des résumés. Mais, parfois, cela peut être assez laborieux de décrire en quelques pages un document aussi colossal qu'un procès-verbal. J’utilise alors ChatGPT pour lui demander de me faire un condensé. Puis, à partir de cela, je peux plus facilement, plus rapidement surtout, faire un résumé du procès-verbal.
Point commun : Ça remonte à quand, justement, ces tests ?
Kim Bergeron : C'est assez récent. Il y a un an et demi à peu près, j'ai commencé à m'intéresser à ça, non seulement pour cet exemple-là, mais pour la rédaction de discours, pour éviter le syndrome de la page blanche. Quand on démarre une nouvelle rédaction, je fais un prompt tel que « Je veux un discours qui va être destiné à telle audience, je veux un ton formel, avec les salutations d'usage ». C'est clair que je n'utilise jamais ce texte-là tel quel. Je le remanie systématiquement. C'est le cas aussi pour des publications Facebook. Sur les réseaux sociaux, ChatGPT est très performant (et peut même ajouter les émojis).
On peut aussi lui donner seulement une thématique à décliner sur cinq jours et l’IA va proposer des publications tout à fait appropriées dans la formulation et dans la chronologie.
Point commun : Comment domptez-vous l’IA dans ces usages quotidiens ?
Kim Bergeron : Il faut faire attention aux différentes utilisations, parce que le ton qu'emploie ChatGPT (ou Gemini, que j’ai aussi sollicité) va toujours être le même. Et il va avoir tendance à imposer un lexique standard, voire inadapté. Il propose toujours le mot « ravi ». C'est un mot qu'on utilise peu au Québec. Donc il faut éliminer le mot « ravi ». À tout moment, j’ai conscience qu’il ne me sert que d'assistant et non pour me remplacer. Mais je pense surtout à lui donner les bonnes indications pour que ça fonctionne. On peut carrément demander à ChatGPT de proposer des publications engageantes. L’IA formulera des questions que l'on peut utiliser pour que les gens soient incités à répondre. On peut aussi lui donner seulement une thématique à décliner sur plusieurs jours, comme pour la météo, les aléas des vagues dans la mer, qu'est-ce qui s'en vient. Dans les cinq prochains jours, il va proposer des avis, des messages pour faire attention, des publications qui vont être tout à fait appropriées dans la formulation et dans la chronologie aussi. Le fait que l’IA soit en mesure de proposer des variantes qui soient juste assez distinctives les unes des autres, et qui font qu'on va vraiment pouvoir traiter un seul sujet en cinq publications, c’est un atout. Donc je prends les idées et, après cela, je les remanie. Et voilà, cela m'alimente. Étant toute seule à la MRC aux communications, c'est comme si c'était mon assistant personnel et je peux économiser énormément de temps plutôt que de le passer à écrire et à essayer de planifier.
Point commun : L’IA vous a réellement libéré du temps pour faire d'autres choses ?
Kim Bergeron : Absolument, ça me libère beaucoup de temps. Je parlais du syndrome de la page blanche un peu plus tôt, c'est incroyable ce que je peux gagner comme temps. Évidemment c'est moi qui fournis les idées à l'intelligence artificielle, et les idées, elles sont déjà là, je les ai en tête. Si on doit écrire un discours pour présenter une politique culturelle, je vais aller prendre les principaux points de la politique culturelle et je vais les fournir à l’IA pour qu'elle me redonne un texte qui va faire des liens entre des points de la politique culturelle. C'est génial. Donc, on va avoir accès à des formulations différentes, auxquelles on n'aurait pas nécessairement pensé, parce qu'on a tous notre propre champ linguistique, notre langue. Cela m'amène ailleurs, mais, encore là, je ne retiens pas toutes les idées. Je remanie tout le temps, après, pour être sûre qu'on a vraiment quelque chose de personnalisé, d’adapté. Oui, ça fait économiser du temps, mais c'est aussi de l'espace mental que ça me crée. Puis, ça me libère pour faire tous les autres projets.
Sans l’IA, je n'aurais pas le temps de tout faire, cela m'amènerait à délaisser mon plan de communication.
Sans l’IA, je n'aurais pas le temps de tout faire, il faudrait que je laisse tomber certaines choses, probablement. Cela m'amènerait à délaisser mon plan de communication de la MRC de La Matanie. C'est ce qui passe toujours en dernier ! Parce qu'il y a toujours des événements qui arrivent dans deux semaines, des échéances qu'on doit respecter, des urgences… Des choses que je ne peux pas laisser tomber. En ayant un petit peu plus de temps libéré, ça me permet de mettre en place mon propre plan de communication qui est plus de vendre des idées générales, mais qui ne sont pas temporelles et qui ne sont pas essentielles non plus. Donc, ma mission – bien faire paraître la MRC, et bien faire connaître les mandats et les services de la MRC – en bénéficie finalement.
Point commun : Est-ce que vous parlez de cette intelligence artificielle avec vos collègues ? Peut-être qu'ils imaginent que votre métier a changé ?
Kim Bergeron : J'ai plusieurs collègues qui utilisent aussi l'intelligence artificielle, donc on est au diapason, ça c'est sûr. Pour ce qui est des élus, je ne vois pas d'opposition pour l'instant. Tout le monde est intrigué par l’IA. On est bien conscients de ses pièges, mais je pense qu'on a la curiosité d’aller voir ce que ça peut apporter. C'est assez généralisé, pas caché ; je pense que c'est même totalement assumé. Mes résumés de séance de conseil, je les fais lire aussi. J'ai fourni une version audio pour que les conseillers municipaux qui n'ont pas le temps de passer une heure à lire un texte puissent l'écouter dans leur voiture. Je fournis une version audio qui est lue… par l'intelligence artificielle ! et c'est très bien fait. Le ton n'est pas le même, il y a même des voix québécoises que je peux choisir. C'est intéressant, je pense que tout le monde commence à apprivoiser cela et à voir quel en est le potentiel. Ce que j'en fais, c'est encore une utilisation très limitée, de base.
Point commun : Est-ce que vous payez pour l’utilisation de cet outil IA ?
Kim Bergeron : On a un abonnement payant, mais initialement je l'utilisais dans sa version gratuite et pour moi ça faisait tout à fait le travail. J’ai compris qu'au niveau de la confidentialité des données, même la version payante n'est pas tout à fait sécurisée, mais quand on ne paye pas pour un outil, on est le produit, finalement. La version payante offre un monde de possibilités que je n'ai pas encore exploré. Mais simplement le fait qu'on puisse importer un PDF plutôt que copier-coller un texte, ça fait, encore une fois, économiser du temps. On peut importer plusieurs communiqués de presse pour lui montrer de quelle façon on les écrit, puis, après ça, il va pouvoir nous guider, nous faire un texte sur mesure qui correspond à notre façon de nous exprimer.