
Promesse employeur : pour attirer les jeunes, « soyez vous-même, les autres sont déjà pris »
Oscar Wilde en avait fait une maxime. La nouvelle génération qui arrive sur le marché du travail s’en est emparée. Elle n’attend plus des employeurs qu’ils jouent un rôle ou s’abritent derrière des slogans. Elle veut du vrai, du concret, du respect et du donnant-donnant. Pour les collectivités territoriales, souvent inquiètes de leur attractivité, c’est à la fois une alerte et une formidable opportunité.
Par Pierre Chavonnet, membre du Comité de pilotage de Cap'Com, DGA Occurrence – directeur pôle marque et transformation.
Une génération à part, qui change les règles du jeu
C’est une génération qui ne ressemble à aucune autre. Non pas parce qu’elle rejette le travail, mais parce qu’elle l’aborde avec lucidité et exigence. Elle ne se contente pas de demander « un job » : elle demande un contrat clair, équilibré, où l’engagement ne se fait pas à sens unique.
Les chiffres le disent : selon le 12e Baromètre Mantu Occurrence – Groupe Ifop des entreprises préférées des étudiants et jeunes diplômés (1), 83 % des jeunes considèrent le manque de respect comme une raison immédiate de quitter un employeur, 76 % l’absence de perspectives d’évolution et 67 % une rémunération jugée insuffisante. Autrement dit : ils ne transigent pas. Et surtout, 64 % envisagent déjà de rester moins de trois ans dans leur première organisation. Le message est limpide : « Je donne si tu donnes. »
L’IA comme professeur particulier : un rapport différent à l’effort
Ce qui les distingue d’abord, c’est leur rapport transformé à l’effort et à l’apprentissage. Avec l’intelligence artificielle, devenue leur « professeur particulier », ils ont grandi dans un environnement où les réponses sont accessibles instantanément. 86 % utilisent déjà un outil génératif au moins une fois par semaine, et 77 % réclament la liberté de l’utiliser dans le cadre professionnel.
Pour eux, la valeur ne se mesure plus uniquement à la sueur ou au temps passé, mais à la pertinence, à l’efficacité et à la capacité d’innover. Les collectivités, qui valorisent depuis toujours le service rendu plus que la performance brute, ont là une carte à jouer : intégrer ces outils, les encadrer intelligemment et en faire des leviers d’attractivité.
Le Covid, traumatisme silencieux
Autre facteur marquant : ces jeunes ont vécu le stress professionnel de leurs parents pendant la crise sanitaire. Isolement, anxiété, télétravail subi… Le message implicite était clair : « L’entreprise n’est pas un havre protecteur, elle peut être une source de souffrance. »
Cela a forgé une génération méfiante à l’égard des discours d’entreprise, mais attentive aux preuves concrètes. Quand on leur demande leurs critères de choix, 60 % citent l’ambiance de travail, 56 % les conditions matérielles, 47 % le sens des missions. Plus que jamais, le climat interne et la qualité de vie au travail sont devenus non négociables.
Forces, fragilités et exigences
Aussi quand on interroge les collectivités sur leur attractivité dans le cadre de l'enquête « Collectivités territoriales et promesse employeur : quels leviers pour nourrir leur attractivité ? », elles reconnaissent leurs points forts :
- l’égalité femmes-hommes (73 %),
- l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle (73 %),
- l’image du territoire (68 %),
- la formation et le développement des compétences (58 %).
Autant d’arguments puissants pour séduire une génération attentive au respect, au bien-être et aux perspectives d’apprentissage.

Mais elles identifient aussi leurs fragilités :
- la reconnaissance (43 %),
- les conditions matérielles de travail (45 %),
- la rémunération (37 %).
Autant de signaux qui résonnent très fort avec les attentes des jeunes, eux qui placent justement le respect, l’ambiance et les perspectives de progression au cœur de leurs critères de choix.
C’est donc bien un paradoxe qui se joue : les collectivités ont de réelles cartes en main, mais elles doutent de leur propre attractivité. Or cette génération n’accorde pas de crédit aux promesses abstraites : elle veut des preuves. Elle choisira d’entrer et de rester là où le discours s’incarne en actes tangibles, visibles dès l’intégration.

Enquête « Collectivités territoriales et promesse employeur : quels leviers pour nourrir leur attractivité ? »
Où en sont les collectivités territoriales en matière d’attractivité, en tant qu’employeurs ? Comment se saisissent-elles du sujet et à quels défis doivent-elles faire face ? Depuis les premières démarches jusqu’à aujourd’hui, le cadre a évolué vers une appréhension plus large et plus réaliste : celui de la « promesse employeur ». C’est l’objet de l'enquête « Collectivités territoriales et promesse employeur : quels leviers pour nourrir leur attractivité ? » réalisée par Cap’Com avec l’expertise de l’institut d’étude Occurrence – Groupe Ifop, en partenariat avec La Lettre du cadre territorial et emploi-public.fr.
Le questionnaire a été conduit en ligne du 8 avril au 5 mai 2025 par l’institut Occurrence – Groupe Ifop auprès de 318 répondants (marge d’erreur +/- 5 points) travaillant dans une collectivité territoriale, dont 70 % directement impliqués par la thématique attractivité.
L’intégration : un enjeu décisif
Et c’est précisément là que les collectivités peuvent se montrer exemplaires. Car à l’heure actuelle, 19 % n’ont rien formalisé pour accueillir les nouveaux arrivants et 21 % se contentent d’un livret ou d’une réunion d’accueil. Trop peu, trop faible.

L’intégration est le moment de vérité. Si elle est bâclée, c’est la promesse employeur qui se délite aussitôt. Si elle est soignée, c’est une chance unique de transformer un jeune recruté en ambassadeur enthousiaste. Quelques bonnes pratiques ont été partagées en mai dernier à l’occasion des Rencontres nationales de la communication interne et elles sont inspirantes.
- Pour le média InfoPro, il faut de la rapidité dans le traitement des candidatures et se mettre en capacité d’attribuer rapidement des responsabilités aux recrutés.
- Pour Grenoble Alpes Métropole et le département du Pas-de-Calais, l’inclusion, la diversité et l’apprentissage sont déployés comme des leviers de fidélisation.
- Pour la ville de Villejuif, être au rendez-vous des transitions est devenu son leitmotiv, et la collectivité s’astreint à ce que les jeunes soient au centre du jeu.
Ces démarches montrent qu’il ne s’agit pas seulement d’attirer, mais « d’embarquer » et de tenir parole dès le premier jour.
La précieuse singularité du service au citoyen
Oui, cette génération est exigeante. Oui, elle est sélective, rapide à juger et rapide à partir. Mais elle est aussi profondément en quête de sincérité et de cohérence.
Soyez vous-même, les autres sont déjà pris. Les collectivités n’ont pas besoin d’imiter le privé, ni de masquer leurs fragilités. Elles doivent assumer leur singularité, soigner l’accueil, valoriser leurs valeurs, et donner à voir ce qu’elles sont réellement : des employeurs de sens, qui portent la promesse d’un service public vivant.
C’est à cette condition qu’elles transformeront la méfiance en confiance, et donneront aux jeunes l’envie de contribuer eux aussi à ce bien commun qui fait la force et la singularité des collectivités territoriales.
(1) 12e Baromètre Mantu Occurrence – Groupe Ifop des entreprises préférées des étudiants et jeunes diplômés réalisé en ligne en décembre 2024 auprès de 13 000 étudiants et jeunes diplômés représentant l’offre d’étude en France.