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La crise pour le pire et le meilleur

Publié le : 13 mai 2020 à 00:40
Dernière mise à jour : 18 mai 2020 à 09:43
Par Yann-Yves Biffe.

Le déconfinement n’est pas la fin des problèmes, ou une grande libération façon 1945. La liesse devra attendre, et il nous faut réinventer à nouveau nos façons d’intervenir auprès des habitants et usagers, en étant bien conscients des grandeurs et limites de la condition humaine qui s’exposent un peu plus fortement en ces temps de crise.

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Par Yann-Yves Biffe.

La crise n’est pas derrière nous. Techniquement parlant, nous sommes amenés maintenant à en gérer une nouvelle. Car la crise, c’est étymologiquement la « manifestation grave d’une maladie », un trouble dans un fonctionnement normal, la gestion d’un changement brusque et inattendu. Nous avons dû gérer la montée du Covid-19, première crise, puis la mise en place du confinement, deuxième crise. Nous voilà dorénavant confrontés au déconfinement, nouveau changement. Et il n’est pas possible de se contenter de revenir à la situation antérieure au 17 mars, car la fin du confinement n’est pas la fin du virus et des risques qu’il génère.

Ça donne à réinventer le quotidien

Une fois de plus, il faut donc réinventer des solutions, des organisations. À vrai dire, c’est ce que nous faisons depuis le début de cette crise, puisque les décisions locales, parfois prises rapidement pour faire face et apporter des réponses demandées par les habitants, doivent être modifiées ensuite pour s’adapter aux décisions nationales… parfois contredites quelques jours plus tard. Un exemple au passage : un mail reçu du tribunal de grande instance nous annonce fin avril la reprise des mariages avec une jauge d’invités en fonction de la taille de la salle affectée… et le Premier ministre annonce quelques jours plus tard que les mariages sont toujours stoppés jusqu’à nouvel ordre.

Les community managers s’arrachent les cheveux, se retrouvant en première ligne pour répondre aux interrogations des administrés face à des règles modifiées au jour le jour et à des initiatives qui répondent aux émotions des habitants (qui seront à nouveau des électeurs dans quelques mois), en général annoncées à la veille du week-end… même si les repères temporels sont battus en brèche depuis quelques semaines.

On ne peut pas blâmer ces acteurs, nationaux comme locaux, pour autant : à chaque étage, des décisions doivent être prises sans connaître tous les tenants et aboutissants, au plus vite, sous la pression des intérêts des uns et des autres, en mécontentant le moins de monde possible à défaut d’en satisfaire quelques-uns. Le seul enseignement est que, quelle que soit la décision, celle de ne pas en prendre est la plus fortement dénoncée par les administrés en période d’incertitude.

Plus que jamais, la communication doit être évidente, fondée scientifiquement tout en intégrant une forte dose d’émotionnel.

Alors adaptons-nous. Il n’y a pas le choix, si ce n’est celui de s’y mettre de bonne grâce ou à contrecœur. Plongeons sans regret dans l’aventure de la créativité appliquée au quotidien, assumons d’être des serial rénovateurs dans l’essence même de notre vocation. Il s’agit rien moins que de mettre en place des façons de travailler, de recevoir le public, de se côtoyer sans se contaminer, d’apporter services et réponses sans les échanger contre un postillon d’énervement ou de satisfaction. Le déconfinement doit nous permettre de trouver l’équilibre entre :

  • garantir au maximum la sécurité sanitaire de nos collègues ;
  • et apporter le maximum du service attendu par nos concitoyens sans les mettre en danger.

Les nouvelles règles doivent être clairement expliquées à nos usagers et immédiatement comprises par eux. Peut-être plus que jamais, la communication doit être évidente, fondée scientifiquement tout en intégrant une forte dose d’émotionnel.

Ça donne à se confronter aux extrêmes de l’humain

Plus qu’en temps normal, la crise met les nerfs à vif. Parce qu’elle remet les habitudes en cause sans ouvrir de nouvelles perspectives, parce qu’elle dure depuis de trop longues semaines. Surtout, elle agit comme une loupe grossissante sur la nature profonde de nos congénères, pour le meilleur comme pour le pire.

Ainsi pour nos collègues. Quelques-uns se sont cachés, s’accommodant avec satisfaction d’une obligation de rester chez eux sans mission. Beaucoup par peur, celle-là même qui touche tant de Français et n’épargne pas nos rangs. Mais la grande majorité a fait front, acceptant de travailler de chez soi, parfois avec les moyens du bord, en gérant les enfants en parallèle, ce qui a pu générer de rafraîchissantes interventions en premier ou second plan pendant les vidéoréunions. D’autres, ou les mêmes, ont accepté de nouvelles missions, détachés dans d’autres services, dans les EHPAD, sur la voie publique, au contact des habitants et en prise avec le risque, ou encore au téléphone pour faire face aux peurs de nos administrés quand un masque devient une denrée plus précieuse qu’un baril de pétrole.

Ainsi pour les usagers. Nos collègues aux standards et chargés de la réponse aux commentaires sur Facebook ou Twitter ont été confrontés directement à l’expression des angoisses face à un ennemi invisible et insaisissable. Celui-ci a fait ressortir les petits égoïsmes, les envies de délation, les « moi d’abord » ou les « pourquoi moi après les autres », les peurs de manquer quand on a déjà… et le besoin de se défouler sur quelqu’un quand, reclus chez soi, on n’a plus la possibilité de le faire sur les autres. Quelle autre meilleure victime que la mairie, qui ne fait pas assez, ou trop, avec notre argent, qui fait des masques mais pas le bon modèle, qui n’aide pas assez ceux qui veulent aider mais finalement viennent compliquer…

Heureusement, ces critiques étaient contrebalancées par les remerciements sincères. Surtout, d’autres se sont investis, gratuitement, prenant des risques au besoin, pour les autres, de façon désintéressée et sans se mettre en avant, acceptant les contraintes et les consignes avec sourire et compréhension. Ceux-là sont, au même titre que les agents publics, les acteurs de la solidarité micro-locale qui font la grandeur nationale.

Ça donne à voir le verre aux 3/4 plein

Concluons si vous le voulez bien par un verre à moitié plein, voire aux trois quarts. De nombreuses voix se sont élevées, qui par intérêt, qui par désœuvrement, pour critiquer l’action du ou des gouvernements, et des différents échelons de collectivités. Force est de constater cependant que, si la situation est difficile en particulier au niveau économique, elle aurait pu bien plus mal tourner. La mise en arrêt de tout le pays pouvait laisser augurer une totale désorganisation, des blocages à de multiples niveaux, des pénuries de multiples produits qui auraient créé une panique généralisée mettant en cause la sécurité des biens et des personnes.

Estimons-nous heureux de l’état à peu près équilibré dans lequel se trouve le pays, sans que le pouvoir en place n’en ait profité pour restreindre les libertés ou la démocratie à son profit. Même si, encore une fois, beaucoup reste à faire et que, probablement, nous nous heurterons à une nouvelle crise, économique, qui appellera de nouvelles réponses à inventer...

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